Ce mardi là, à La Maroquinerie, Paris, la température est des plus chaudes. Une trentaine de degrés encore en cette fin de journée dans la rue Boyer, et sans doute à peu près autant de degrés en plus dans la salle de concert qu’il y a de marches pour y descendre. Donc près de 43 en bas, au moins.
Sur la petite scène Craig Gallagher, l' »avant-première », nous sert ses ballades folks langoureuses et un peu planantes sur une Gibson SJ 200. Je reconnais cette guitare parce que j’avais failli acheter la même quelques années auparavant. L’irlandais a une belle voix, un coffre puissant. Ça s’écoute bien, c’est assez commun, mais propre et efficace. Les titres s’enchaînent sans que le public s’impatiente, il y a même un rappel, Craif en profite pour rappeler que ces CD sont en vent dans la salle. Puisque c’était pas mal, sans être exceptionnel, je vous mets un de ses titres, enregistré pour celui-ci dans une rue d’Amsterdam. Vous le trouverez à la fin de l’article, pas tout de suite, il ne faudrait pas gâcher ce qui suit.
Car quand Craig a eu fini chacun a pu sentir que, de toute évidence, tout le monde avait pris son billet pour venir écouter et voir Tash Sultana. Véritable phénomène australien, qui a commencé à susciter des passions chez bien des mélomanes, tous ont pu découvrir ses premiers morceaux enregistrés dans sa chambre ou dans le salon de la maison familiale. L’artiste n’a que 21 ans, un premier album à son actif, et déjà une foule de fans par-delà les océans indiens et pacifiques, c’est d’ailleurs sa première venue en france.
C’est en effet du lourd qui s’annonce pour les amateurs. La Maroq’ a eu l’oreille fine sur ce coup-là, c’est un vrai cadeau qui est offert aux premiers fans de la jeune australienne.
Autodidacte, multi-instrumentiste, pêchue comme on en voit rarement, celle qui est toujours nus-pieds sur son tapis, pour sans doute mieux sentir les pédales loops et autres pédales d’effets dont elle se sert avec aisance, se fait des vrais trips quand elle joue et chante. Déjà sur Youtube son enthousiasme est contagieux, alors sur scène nous sommes tous à attendre de voir et d’entendre ce que ça va donner.
D’ailleurs l’attente est longue comme une soirée de canicule sans bière fraîche. Les régisseurs vérifient que tout est bien en place, au moins trois ou quatre fois, tout autour de moi des éventails de fortune brassent un peu d’air chaud, je fouille mes poches en tentant de trouver quelque chose qui pourrait m’aider à avoir moins chaud, mais je ne trouve qu’un ticket de métro. Discrètement je le secoue quand même pour me faire un peu d’air. Le plus barbu des régisseurs sort son smartphone et fait un selfie avec un public qui, porté par l’élan, lève les bras et balance un indéfinissable cri à l’attention des loges, comme pour appeler Tash à venir vite. L’attente commence à être longue, il fait vraiment très chaud, j’ai laissé tomber mon ticket de métro, l’album « Legend » de Bob Marley passe presque entièrement.

Enfin Tash arrive, casquette sur le crâne, longs cheveux bruns, pieds nus, bras tatoués, et ce même sourire radieux qu’on peut voir sur ses vidéos. Et là c’est comme si d’un coup d’un seul le public avait été rebranché sur secteur, c’est parti, elle là. Rarement engouement n’aura été aussi marqué.
Je suis à peu près certain que nous avons été nombreux à redouter que le live ne soit pas aussi bien que les vidéos vues sur Youtube ou l’écoute du premier album sorti en mars en France, mais les premières notes balayent vite tous les doutes. Tash est une artiste complète et exceptionnelle, c’est encore mieux en live parce que moins parfait qu’en studio, moins attendu, plus vivant.
Elle tisse doucement sa toile tout autour du public. D’abord une première pièce d’orgue électronique, structurante, comme les fondations d’un édifice dans lequel elle nous fait entrer peu à peu, le premier loop est en place. Elle décâble ensuite un jack d’une platine puis lance un autre rythme, avec sa voix cette fois, un human beatbox entêtant qui ne lâche plus le morceau. Là elle bouge la tête et le buste d’une façon bien particulière, l’une et l’autre se rapprochant avant d’avancer d’arrière en avant, une de ses marques de fabrique.
Elle est « dedans », et nous aussi. Elle sort ses baguettes, envoie un nouveau rythme, puis la guitare prend la suite; d’abord un premier loop clair, puis un autre avec un peu de distorsion et de réverbération. Elle dessine devant nous son univers et emmène son public avec elle avec une facilité déconcertante. Elle nous prend par les tripes, littéralement, puis, quand tout est bien en place, lorsque tout le monde est bien à bord, alors elle ferme les portes et ça décolle grave, et tout le monde oublie que les jeans collent et que la bière ne rafraîchit pas.
Elle place alors sa voix, planante, avec un léger écho qui donne encore un peu plus de relief au morceau. Et ce n’est que le début.
Tash ne nous offre pas seulement sa musique et sa voix, elle vient toute entière sur scène avec son univers et nous invite à aller y faire un tour, nuance !
Peu d’artistes peuvent prétendre emmener avec eux leur public avec autant de force et de conviction, en offrant une telle intimité. L’énergie de vie que Tash dégage sur scène est exceptionnelle, contagieuse, salutaire même. Il y a l’inventivité musicale de Camille, la profondeur juvénile de Paul Thomas Saunder, l’excentricité maîtrisée de Jessie Reyez, et une formidable présence sur scène.
Retenez bien son nom, si vous le voyez passer sur une affiche, un programme, n’hésitez pas un seul instant, prenez votre place et invitez un(e) très bon(ne) ami(e) si vous en avez un (e), dans le cas contraire ce n’est pas grave, il n’y a que des gens bien à aller la voir.
C’est sur la chaîne Toutube de NPR Music, une radio américaine privée auprès de laquelle j’ai déjà fait quelques découvertes sympa, que j’ai découvert Tash Sultana :
Pour en savoir un peu plus sur la maturité musicale de Tash Sultana je vous invite à découvrir un TedX de mai 2016:
Et, comme promis, Craig :
Cadeau, puisque j’en parlais, Jessie Reyez, à surveiller de près :
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Sébastien Tertrais: Auteur/AutriceVoir toutes les publications Fondateur et rédacteur en chef à OHERIC-Média