Nucléaire contre renouvelables : le faux débat qui tue la France

 

Jean-François Raux
Jean-François Raux est une figure reconnue dans le paysage professionnel français, alliant expertise technique et vision stratégique. Diplômé de l’Institut d’Études Politiques de Paris et titulaire d’un DESS en Droit Public Européen, il a bâti sa carrière au sein d’EDF où il a occupé des postes clés tels que Directeur Marketing Stratégique, Conseiller du Directeur Général pour le management et la communication interne, ou encore Directeur Général de la holding EDF Sopardel. Fondateur de l’Institut du Management, il s’est distingué par son engagement dans la modernisation des systèmes de gestion et l’accompagnement des grandes entreprises face aux transitions majeures. Il a été au final Délégué Général de l’Union Française de l’Electricité et à ce titre en relation avec les ministères (Scénarios électriques, Loi NOME, etc.) et la Commission Européenne. Également auteur et contributeur régulier à des réflexions sur l’énergie et l’innovation, Jean-François Raux incarne une voix influente sur les enjeux économiques et énergétiques contemporains. Sa capacité à conjuguer analyse rigoureuse et prospective en fait un acteur incontournable pour décrypter les défis d’aujourd’hui et de demain.

Pendant que l’idéologie oppose nucléaire et renouvelables, la vraie bataille – remplacer les fossiles par l’électricité – reste dans l’ombre. Incohérences politiques et dogmes européens sabotent notre avantage compétitif. Il est temps de reprendre les rênes.

Évolution du Mix énergétique :

Comment voyez-vous l’évolution du mix énergétique en France dans les prochaines décennies ? Quels changements majeurs anticipez-vous, notamment concernant le rôle du nucléaire et des énergies renouvelables ?

Le mix énergétique est composé d’environ 20 % d’électricité, 70 % de sources fossiles, et 10 % d’autres sources (bois, bioénergie, etc.). La priorité serait de répéter ce qui a été fait dans les années 80/90 : un usage massif des énergies fossiles (fioul et gaz), avec en plus :

– De forts gains de productivité industrielle et énergétique.

– Un accroissement de l’indépendance énergétique de la France.

– Une diminution des émissions de gaz à effet de serre de la France.

Nous avons le potentiel de production électrique pour le faire dès maintenant. En effet, depuis le début des années 2020, la consommation électrique diminue fortement. Malgré une légère augmentation en 2024, la consommation reste inférieure de 6 % par rapport à la moyenne des années 2014-2019. En gros, la consommation équivaut à une production nucléaire correcte du parc, avec Flamanville 3, hors énergies renouvelables ! En effet, si le nucléaire se redresse un peu, sa production actuelle (370 TWh) est loin du maximum possible, autour de 430/440 TWh.

Si l’on compte la production des énergies renouvelables, les projets en cours au niveau des EPR et des grands parcs éoliens, notamment offshore, et le solaire diffus, on a donc un potentiel énorme pour transférer les usages fossiles vers l’électricité, comme on l’a fait dans les années 70-90 en France. On a aussi un potentiel énorme pour favoriser la réindustrialisation de la France !

Ce graphique démontre que l’on a quasiment fait disparaître les fossiles de la production d’électricité, et qu’en plus, on a fait face à son développement par le passé. L’enjeu à l’horizon 2100 n’est donc pas la part des énergies renouvelables par rapport au nucléaire dans la production d’électricité (sujet de 90 % des scénarios de l’ADEME, RTE, etc.), mais la part de l’électricité par rapport aux fossiles dans la consommation d’énergie de la France.

Transition énergétique :

Quels sont, selon vous, les principaux défis auxquels la France est confrontée dans sa transition énergétique ? Comment évaluez-vous l’impact de cette transition sur l’emploi et l’économie en France ?

La question précédente m’amène à celle-ci, qui est majeure : pourquoi cela ne se fait-il pas ?

Pour trois raisons essentielles.

En premier lieu, c’est une question de prix de l’électricité, plus précisément de prix relatif par rapport aux autres énergies et aux autres pays. Pour passer du gaz ou du fioul à l’électricité, il faut que le temps de retour de l’opération soit court, probablement entre 5 et 10 ans, probablement plus proche de 5 que de 10. Pour s’en convaincre, réécoutez l’intervention de Menégaux, patron de Michelin, au Sénat : il passe tous les fours de cuisson des pneus du gaz à l’électricité et souligne que celle-ci en Europe n’est plus assez compétitive par rapport à l’Asie, mais aussi aux USA ! Or, la France a les moyens d’avoir une électricité très compétitive, son parc nucléaire étant largement amorti, sauf à vouloir transformer chaque centrale existante en EPR, ce qui serait de la folie, car non nécessaire en termes de sûreté nucléaire !

La taxe carbone (voir le modèle suédois de déploiement intelligent et efficace) règle en partie le problème de la compétitivité relative de l’électricité par rapport au gaz, mais pas le problème de l’avantage compétitif d’une électricité bon marché pour l’économie que permettrait notre parc nucléaire actuel : la réindustrialisation, c’est maintenant, pas dans dix ans !

Pour la réindustrialisation, c’est pareil : l’électricité française doit être compétitive par rapport à celle d’autres pays. Sinon, vous devez payer des aides ! Or, EDF défend de fait un nucléaire cher, valorisé de fait sur la base des prix du gaz par les marchés de l’électricité ! Elle préfère exporter à prix élevé, plutôt que de développer les usages de l’électricité en France à un prix plus bas, mais encore rentable pour elle.

En second lieu, il y a en France un fort courant qui a défendu le gaz. L’ADEME, les ministères (DGUHC, DGEC…), ENGIE (couple ENR + Gaz) : tous ont freiné le développement d’une électricité jugée trop nucléaire. Dans l’habitat, le maintien du gaz, même en cas de rénovation lourde, frise le scandale.

En troisième lieu, les professionnels de l’énergie en France sont issus de « la chauffe » (pétrole, gaz) et ne maîtrisent pas toujours les solutions électriques et leur nécessaire pilotage de plus en plus basé sur le numérique et demain sur l’IA. La profession n’est pas assez concentrée. L’avantage compétitif de la France avec son électricité nucléaire pourrait être énorme : elle le gâche par idéologie ! Cela frise le scandale politique.

Il est évident que l’impact sur la croissance sera majeur et est inconnu. Ce que l’on peut dire par comparaison avec le passé, c’est que le nucléaire du plan Messmer a permis de maintenir la compétitivité industrielle de la France lors des crises pétrolières. Là est l’essentiel ! Les travaux liés à la stricte transition énergétique ne compenseront jamais en termes d’emplois et de croissance : tout est lié à la compétitivité future de l’électricité, qui permettra une numérisation plus profonde de l’économie ET la réduction des émissions de CO2 liées aux énergies fossiles.

Si vous regardez ce qui se passe dans l’industrie automobile, vous avez quatre défis majeurs :

– Le passage à l’électrique avec une question clé, celle des batteries.

– La transformation des processus de nos industriels pour passer du thermique à l’électrique avec un énorme problème de compétitivité de la main-d’œuvre en France très bien posé par Menégaux, le patron de Michelin, mais aussi un problème de la robotisation qui va s’accélérer (voir Tesla).

– La rentabilité pour le client du passage à l’électrique qui dépend ici encore du prix de l’électricité.

– L’impact de la Chine, qui bénéficie d’un effet volume (grandes séries) alors que le marché européen reste atomisé, y compris dans sa réglementation.

Soyons clairs, Di Méo, le patron de Renault l’a dit : une entreprise d’automobile peut disparaître. Regardez le retournement de la situation en Allemagne depuis la crise de 2020-2023. Il y a probablement plusieurs constructeurs de trop en Europe ! La France, l’Europe sont dans une économie mondialisée et ouverte. On l’oublie trop souvent au niveau des politiques !

Les scénarios de transition énergétique (RTE, ADEME, Negawatt) ont annoncé des chiffres « fabuleux » de création d’emplois liés, par exemple, aux travaux d’isolation : je ne suis pas sûr que les emplois dans le bâtiment soient les emplois d’avenir, même s’ils sont intéressants pour la population mal formée. Je n’y crois pas un seul instant. Il faudrait refaire les modélisations sans à-priori idéologiques !

Derrière tout cela, il y a bien sûr la formation, notamment scientifique, de la population et non pas seulement d’une petite élite. La sous-formation en science est un énorme frein à la transition écologique et numérique qui vont de pair : on le voit, la filière nucléaire, très technique, peine à recruter en France. Ce n’est bien sûr pas l’immigration non sélective qui réglera le problème. Mais il n’y a pas que cela : les systèmes de pilotage et d’optimisation (IA) de l’électricité vont se développer très vite ; ils sont très techniques !!

 » Mais fermer du nucléaire au lieu de fermer du lignite, bien plus toxique que le charbon, vous frisez la débilité mentale. En plus, l’Energiewende est coûteuse et inefficace. « 

Critique des Politiques énergétiques :

Vous êtes connu pour vos critiques des politiques énergétiques actuelles. Pouvez-vous nous parler des incohérences ou inefficacités que vous avez identifiées, particulièrement concernant la gestion des énergies renouvelables et du nucléaire ?

NDLR : Le graphe ci-dessus, transmis par Jean-François Raux, montre l’évolution de l’intensité carbone de la production d’électricité dans six pays sur les cinquante dernières années (1970-2016). Il met en évidence l’impact des politiques énergétiques, comme la tarification carbone ou les transitions vers le gaz naturel, le nucléaire ou les renouvelables, comme facteurs clés de ces réductions. Les différences entre pays soulignent des contextes économiques, politiques et technologiques variés. En France, la baisse spectaculaire. La France se distingue par une réduction de 79 % de l’intensité carbone en seulement 10 ans, jusqu’en 1986. Cette chute marquée, mise en évidence par la zone encadrée en rouge, est probablement liée à un passage rapide de l’utilisation du charbon ou du pétrole vers le nucléaire ou les énergies renouvelables.

Un des points clés est que le débat énergétique et écologique a été complètement pollué en France par la question du nucléaire versus les énergies renouvelables, de manière totalement idéologique et irresponsable depuis les années 2010. L’électricité, ce n’est que 20 % de l’énergie, et dès le début du débat, elle était décarbonée à 95 % grâce au nucléaire et à l’hydraulique (qui est une énergie renouvelable).

Pour comprendre le fond, il faut regarder trois points.

Quand vous développez les énergies renouvelables en Allemagne, en moyenne, vous faites baisser la consommation de charbon et de gaz. Mais fermer du nucléaire au lieu de fermer du lignite, bien plus toxique que le charbon, vous frisez la débilité mentale. En plus, l’Energiewende est coûteuse et inefficace.

L’Europe a imposé, avec l’accord de la France (Borloo a été déterminant dans l’acceptation, voire la promotion de cette énorme erreur sous l’influence de Jouzel) et sous la pression d’une Allemagne qui hait le nucléaire français, un pourcentage minimal d’énergies renouvelables dans le mix énergétique de tous les pays, quel que soit leur mix de départ ! C’est d’ailleurs contraire aux traités qui précisent bien que le choix du mix électrique est un choix national.

Enfin, il est faux de dire que les énergies renouvelables et le nucléaire sont complémentaires alors que la consommation électrique diminue et que toutes les hypothèses de stockage long et massif de l’électricité s’effondrent les unes après les autres. La priorité réseau des énergies renouvelables est une hérésie : elle conduit le nucléaire à moduler de plus en plus, ce qui, à minima, baisse sa rentabilité. Et probablement, use les centrales prématurément : laissons l’ASN trancher. Le haut fonctionnaire à sa tête est un incorruptible et un fin connaisseur de ces questions.

Derrière cela, il y a un problème que l’on doit résoudre, qui est le lissage de la courbe de charge :

  • Développement des usages qui fonctionnent quasiment en base, comme les datacenters.
  • Développement des usages d’été, comme la climatisation.
  • Développement des systèmes de pilotage de la puissance pour limiter les pointes d’appel en hiver : le chauffage électrique peut s’effacer quelques heures pendant les moments critiques de pointe hivernale, comme les congélateurs, et beaucoup d’usages dans l’industrie. Et bien sûr, la charge des véhicules électriques.

La gestion et l’optimisation de la puissance appelée ont été les grands oubliés en France et en Europe depuis le début des années 2000 ! Un drame pour le système électrique.

Je vais vous donner un exemple. Avant, la gestion des contrats comportait deux termes : un terme puissance ; un terme énergie. Il était géré au niveau des usines, donc les directeurs faisaient très attention à optimiser leurs appels de puissance et à effacer de la puissance pour payer moins cher (Tarif Vert d’EDF). Aujourd’hui, on ne parle que d’achat d’énergie, souvent géré de manière centralisée par le service… achat du groupe qui n’a aucune influence sur la courbe de charge des usines. Seul le tarif réseau comporte une part puissance, calculé sur les congestions des réseaux pour l’essentiel !

Les erreurs depuis le début des années 2000 sont donc multiples.

Rôle de l’électricité :

Quelle place devrait occuper l’électricité, y compris celle d’origine nucléaire, dans une stratégie de réduction des émissions de CO2 ? Comment pouvons-nous optimiser l’utilisation de l’électricité pour réduire notre empreinte carbone ?

J’ai déjà, en partie, répondu à cette question centrale, essentielle notamment sur le pilotage et l’optimisation de l’utilisation de l’électricité. Ajoutons néanmoins une idée clé simple : plus une économie est numérique, plus elle doit être électrifiée et la production d’électricité doit être décarbonée, et plus le pilotage de l’utilisation de l’électricité pourra être fin.

Les décroissantistes (ADEME, JM Jancovici, Terra-nova, Negawatt, le Shift Project) pensent que consommer de l’énergie, c’est en soi mal. D’où le matraquage contre le développement du numérique en général et de l’IA en particulier, donc de l’électricité, car je ne connais pas d’IA au gaz ! Par exemple, l’idée de Jancovici est que l’énergie va manquer, que la décroissance est donc inévitable. Son raisonnement est fondé, à l’origine, sur une corrélation croissance/pétrole.

Ce raisonnement est faux : consommer de l’électricité décarbonée n’est pas un mal en soi, mais une fabuleuse opportunité de croissance et de développement. Pour maintenir ce mythe, l’ADEME a lancé une campagne de désinformation liant l’IA avec la consommation d’eau pour le refroidissement des centrales, oubliant que l’eau n’est pas consommée, mais rejetée en aval, si l’on refroidit sur rivière ou mer, ou dans l’atmosphère sous forme de vapeur d’eau qui se retrouve ensuite sous forme de pluie (météo simple).

L’électricité permet d’accélérer la « numérisation » de l’économie, clé de la croissance future : c’est cela qu’il faut impérativement retenir. Ici encore, il faut lutter, car les contre-vérités sont légion.

Nouvelles Technologies énergétiques :

Quelle est votre opinion sur les nouvelles technologies énergétiques, comme les éoliennes offshore ou le stockage d’énergie, par rapport aux technologies plus établies, comme le nucléaire ? Pensez-vous que ces technologies sont surévaluées ou sous-exploitées dans le contexte français ?

Il y a six séries de questions clés « technologies d’avenir » si on veut tendre vers une économie numérique fondée sur une électricité abondante (non limitée) et bas carbone (>95 %).

La première porte sur les nouvelles technologies nucléaires avec trois sous-questions clés :

  • Les SMR qui sont une voie plus souple, moins risquée, et probablement moins coûteuse à terme, pour chasser le gaz et le fioul dans l’industrie classique (par exemple : aciérie) ou nouvelle (par exemple : datacenter), et le chauffage ou refroidissement urbain dont on parle peu. Les SMR seront indispensables dans un contexte de réindustrialisation et d’adaptation des mégapoles au changement climatique.
  • Les surgénérateurs, type Astrid, qui permettent de recycler les déchets nucléaires à durée de vie longue et de limiter la question géostratégique de la disponibilité de l’uranium. L’abandon d’Astrid par la France est une énorme bévue stratégique, une de plus.
  • La fusion nucléaire qui réglera le problème de l’énergie abondante : la nécessité crée le progrès. La solution sortira avant la fin du siècle. Celui qui, le premier, la maîtrisera aura un avantage compétitif et géostratégique déterminant. Je parie sur la Chine ou les USA grâce à leur écosystème innovant : à condition de ne pas faire passer le fait d’aller sur Mars avant la fusion.

La deuxième porte sur le stockage. Qui se décompose en trois sous-questions :

  • Le « petit stockage » style batterie de voiture avec une dépendance à la Chine catastrophique.
  • Le stockage « moyen » pour couplage solaire/batterie dans le résidentiel, par exemple.
  • Le stockage « de masse » (longue durée, inter-journalier, intersaison pour pallier l’intermittence) : en dehors des STEPS, on est au point mort, les projets hydrogènes se révélant foireux.

La troisième, souvent oubliée, concerne le développement des processus industriels électriques en remplacement des processus fossiles. Il s’agit des processus thermiques, un domaine dans lequel des progrès significatifs ont été réalisés dans les années 70 et 90. Cependant, il reste encore beaucoup à faire, car cela entraîne des gains importants en termes d’efficacité énergétique et de consommation d’énergie.

La quatrième porte sur un domaine clé essentiel à l’avenir : le couplage de l’IA et des systèmes électriques, notamment pour tout ce qui concerne le pilotage optimisé. L’IA est vue comme « consommatrice d’énergie », donc souvent condamnée par les écolos-décroissantistes. Or, l’IA sera essentielle pour optimiser la consommation d’énergie, qu’il s’agisse de la maison, des immeubles tertiaires, des chaînes de froid, des usines, etc. Et de l’équilibre consommation/production d’énergie à tous les niveaux du système. Ici, le frein est moins l’IA elle-même, que le faible niveau des professionnels de l’électricité et l’absence d’incitation économique à ce développement.

La cinquième porte sur un secteur : l’habitat et plus généralement le bâtiment. Autant, dans notre pays, l’arbitrage en faveur du nucléaire versus éolien est vite fait sur tous les plans, y compris l’utilisation de l’espace ; par contre, pour le solaire, son intégration au bâti, l’autoconsommation et le stockage, il y a d’énormes possibilités à développer, à commercialiser. C’est pour demain, pas pour après-demain.

La sixième porte sur la sécurité des installations électriques. On a vu ce qui se passait en Ukraine, où les Russes ont systématiquement cherché à détruire le système électrique. Sécurité physique, bien sûr : les Polonais incluent, dans leur commande de centrales nucléaires, le système antimissile qui va bien. Mais aussi, la sécurité des systèmes d’optimisation du système électrique !

Marcel Bouteux m’a appris les fondamentaux technico-économiques ET l’honnêteté intellectuelle !

Engagement et Vulgarisation :

Vous êtes actif sur X et connu pour vulgariser des sujets complexes, au travers de votre compte « JF Raux – Les questions qui dérangent… » Comment décririez-vous votre approche pour engager le public sur ces questions, y compris le nucléaire et les énergies renouvelables ? Quels sont les principaux messages que vous souhaitez transmettre au public concernant les enjeux énergétiques ?

Le système électrique est un système quasiment unique : aucune autre « commodité » ne lui est comparable, car à la différence du gaz, du pétrole, de l’ammoniaque, etc., l’électricité ne se stocke pas et à tout instant, la puissance appelée (somme de toutes les puissances des appareils en route à un instant t) doit être égale à la puissance mise en ligne par les usines de production (somme de toutes les puissances des centrales de production, quelles qu’elles soient, en route à un instant t). C’est simple, mais peu de gens comprennent ce point clé qui commande tout le reste.

Je vais vous expliquer à partir d’un exemple physique simple : l’avion qui, sur le plan économique, est un proxy de l’électricité. La place d’avion ne se stocke pas. Si vous êtes une compagnie aérienne, si la demande augmente sur une ligne, vous devez avoir des avions en réserve pour y faire face, ou détourner des avions d’une autre ligne, ou commander de nouveaux avions : il peut donc y avoir trois prix pour satisfaire la dernière demande de la place d’avion ; pour être très simple :

  • Un prix marginal (celui de la dernière place demandée) bas : en gros vous cherchez à couvrir vos coûts d’exploitation, les coûts variables.
  • Un prix marginal moyen incluant le report d’une ligne moins demandée sur une autre ligne plus demandée : vous augmentez les prix sur la seconde et baissez les prix sur la première.
  • Un prix marginal élevé si vous devez commander de nouveaux avions pour faire face à la demande en croissance sur toutes vos lignes. C’est exactement ce qui se passe sur la demande aérienne post-covid : croissance de la demande forte, sous-équipement des compagnies suite au Covid.

Aucune compagnie ne facture avec un seul prix marginal, celui d’exploitation. D’autant que la vraie rareté en électricité est la puissance, pas l’énergie. Or un marché est par essence un outil de gestion de la rareté en lui attribuant une valeur économique.

Inutile de vous dire qu’après avoir compris cela, quand on dit que le marché est au coût marginal, en prenant le coût marginal d’exploitation (les frais variables, sans les coûts fixes), on se trompe lourdement ; surtout dans des industries comme l’électricité qui ont deux caractéristiques essentielles :

  1. Elles sont à cycle long : aux USA, on envisage de prolonger la durée de vie du nucléaire, qui est identique au nôtre, à 100 ans !
  2. Elles sont très capitalistiques : 80 % ou plus ; cela veut dire que les coûts fixes prédominent, donc que a) le coût du capital peut faire varier le coût de production de 1 à 3 selon qu’il est faible ou fort ; b) la durée de fonctionnement joue énormément entre la France, qui a un coefficient d’utilisation du nucléaire de 70 % environ, et les USA où l’on est autour de 90 %, l’écart entre les coûts de production peut varier de 1 à 2 !!

Le seul expert que je connaisse qui ait théorisé correctement le système électrique, ses fondamentaux technico-économiques, c’est Marcel Boiteux1 Un économiste protestant d’une extraordinaire rigueur morale, éthique et… démocratique. Et un immense pédagogue. Allez voir ses interviews sur YouTube : elles sont lumineuses. Il m’a donné mes compétences et l’envie d’expliquer ce système électrique de manière pédagogique. Il a bâti EDF sur une approche économique simple : rendre le service public qu’était EDF aussi efficient qu’une entreprise en situation de concurrence pure et parfaite ! Il est évident que le marché actuel de l’électricité en est très loin. Il m’a appris les fondamentaux technico-économiques ET l’honnêteté intellectuelle !

Pourquoi j’interviens dans le débat public ? Pour tenter d’expliquer, le plus simplement possible, les clés des choix, leurs bases technico-économiques. J’ai aussi envie de répondre par souci de démocratie.

Pour moi, il est hors de question que le débat soit confisqué par des « experts » et que l’on dise au « citoyen plouc » de faire confiance aux experts, car c’est trop compliqué à comprendre. Et quand je parle d’experts, je n’oublie pas les idéologues qui racontent, avec des mots savants, souvent n’importe quoi en prétendant « être le camp du bien ». Souvent, derrière l’expert, il y a un idéologue. Les bons experts sont rares, y compris les coureurs de plateaux télé qui racontent beaucoup de grosses bêtises. Malheureusement, c’est valable des deux côtés. Les écolos partisans du 100 % ENR ont raconté des flots de bêtises. Rien ne sert de dire, par exemple, que les éoliennes sont moins chères que le nucléaire : elles ne rendent pas le même service ! En coût système, il leur faut une assurance quand il n’y a pas de vent, ce que l’on vient de vivre au niveau européen en janvier 2025. Cela s’appelle un back-up pour ne pas couper les clients. C’est le coût système rendu client qui compte. Pas le coût de l’électricité en sortie de mat d’éolienne.

Les partisans du nucléaire racontent aussi d’énormes bêtises. Par exemple, le fait que les ENR et le nucléaire seraient complémentaires. Quand vous modulez le nucléaire en fonction de l’éolien ou du solaire, globalement, vous diminuez la rentabilité du nucléaire. Développer des ENR en remplacement du nucléaire est un jeu à somme négative. Parce que le nucléaire, c’est plus de 86 % de coûts fixes.

Pourquoi ai-je choisi X ? Parce que, surtout depuis que Musk a racheté X, c’est le réseau où il y a le moins de censure occulte du camp du bien, ceux qui pensent détenir la vérité et veulent l’imposer. Sur X, il peut y avoir du débat. Souvent je bloque les gens qui injurient ou mènent des attaques personnelles qui n’apportent rien. Mais, ceux à qui je porte la contradiction me bloquent, car je leur démontre qu’ils ont tort : ils perdent la face. Souvent, ils n’osent plus me bloquer, alors ils tentent d’empêcher la propagation de la parole en me masquant : c’est sournois.

Et puis, il y a un réseau « positif » qui reprend ce que je dis à son compte et c’est très bien. La preuve avec OHERIC-Média2

Rôle des Institutions d’Information :

Vous avez exprimé des critiques à l’égard des institutions chargées d’informer le grand public et les acteurs politiques, comme l’ADEME. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce que vous percevez comme des incohérences ou des inefficacités dans leurs approches ? Comment ces organisations devraient-elles, selon vous, informer et orienter les décisions en matière de transition énergétique et de mix énergétique ?

Je pense qu’il y a deux choses derrière votre question. L’information par la presse, la télévision : je n’en parlerai pas ici. Le biais écolo-décroissantiste antinucléaire de ce que l’on appelle le « service public » est proprement scandaleux. La voix des écolos et de LFI est aux trois quarts fausse. Je viserai plus spécifiquement ceux qui sont en charge de conseiller le gouvernement, et ensuite d’informer le public, disons averti. Et je prendrai cinq exemples.

💡Lire aussi L’origine de la sape du nucléaire en Allemagne

1/ La haute administration, comme par exemple la DGEC

Jusqu’au début des années 2000, malgré l’invasion socialiste liée à l’arrivée de Mitterrand, l’administration centrale de l’énergie était de haute qualité, voire de très haute qualité pour ce qui concerne l’électricité. Les responsables connaissaient les fondamentaux du secteur. Les discussions étaient « hard », mais toujours guidées par le souci de l’intérêt général. À partir de 2012 (j’étais DG de l’UFE), j’ai vu ces gens se faire remplacer par des incompétents serviles porteurs du message écolo de base et du 50/50 pour le nucléaire, sans avoir un argument technico-économique sérieux pour l’argumenter. Cela a abouti au Secrétariat général de la Transition Écologique actuel dont je me demande l’utilité et la compétence.

2/ Le deuxième sera RTE.

Le scénario est le même. Un haut fonctionnaire hyper compétent, D. Maillard, a été remplacé par un politique rusé mais compétent, François Brottes, qui cherchait à ce que Hollande (et Royal, totalement nulle) ne perdent pas la face. Avec quelques spadassins compétents, mais sans morale, RTE est, en gros, devenu producteur de scénarios de complaisance qui suivaient les revirements de la pensée de Macron. RTE a recruté, dans son état-major, des lobbyistes des scénarios extrêmes (SER, FEE, Negawatt…). Le tournant était pris, inadmissible, car servile et biaisé. Le remplaçant de François Brottes, Piechaczyk, est un ancien collaborateur de Macron, aux ordres.

Dans le même temps, RTE a déployé, avec ENTSOE (la fédération européenne des homologues de RTE), une action pour un grand marché européen qui ignore les frontières des États. Des technocrates tentent de prendre le pouvoir sans mandat démocratique, ni même de leurs gouvernements.

3/ La CRE

À la demande de Bruxelles, la CRE a repris des compétences de l’administration d’État, notamment de la DGEC3. Il serait trop long d’expliquer ses multiples échecs ou partis pris. Résumons.

  • Dans la fixation des TRVE4, la CRE a écouté les concurrents d’EDF : le niveau des tarifs est fixé pour qu’ils soient « contestables » par les concurrents d’EDF qui achètent leur électricité sur le marché, pas en fonction des coûts de production en France !
  • Dans la gestion de l’ARENH5, la CRE a été incapable d’édicter des règles qui empêchent les concurrents d’EDF de tricher avec des mécanismes d’achat-revente à leur profit, au détriment des clients. Un de leurs présidents a même lancé un comité prospectif sur l’avenir du système énergétique de la France, sans aucun mandat (ce n’est pas la mission de la CRE) et sans… compétence ! Le bruit augmente !

4/ L’ADEME

C’est probablement aussi un des énormes scandales des « agences » censées définir et défendre l’intérêt général en matière d’énergie. Il y a un gros problème d’honnêteté et de désinformation depuis plus de 20 ans. C’est une observation personnelle liée à mon expérience professionnelle. Par exemple, elle a systématiquement favorisé le couple ENR + GAZ contre l’électricité, parce qu’elle est nucléaire en grosse partie. De même, dans l’habitat, elle favorise systématiquement le gaz (voir les calculs foireux du coefficient de conversion en énergie primaire qui pénalise les solutions électriques) et le maintien du gaz même en cas de rénovation thermique lourde ! Tout cela est proprement scandaleux. L’ADEME doit être dissoute !

  1. Marcel Boiteux, né le 9 mai 1922 à Niort et mort le 6 septembre 2023 à Croissy-sur-Seine , est un économiste, mathématicien, haut fonctionnaire et industriel français. Élève de Maurice Allais, il entre à Électricité de France en 1949 et y fait toute sa carrière. Il dirige l’entreprise de 1967 à 1987.[]
  2. Un grand merci de la rédaction pour la confiance ! Il est vrai que nous nous attachons à donner la parole aux experts, Jean-François Raux est l’un d’entre eux. Lire notre ligne éditoriale.[]
  3. Direction générale de l’Énergie et du Climat[]
  4. Tarifs réglementés de vente d’électricité, Comprendre les tarifs réglementés de vente d’électricité []
  5. Accès Régulé à l’Électricité Nucléaire Historique, qui permet à tous les fournisseurs alternatifs de s’approvisionner en électricité[]

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