Une tribune de Alexandre Bauman, pour OHERIC-Média. Alexandre Bauman est auteur de plusieurs livres en sciences sociales (édition l’Harmattan) et contributeur régulier à Atlantico.
Ce qu’on a vu avec la désinformation sur l’acétamipride est un cran en avant : un pesticide qui n’est pas considéré comme cancérigène a été présenté comme un danger grave de cancer. Même des sociétés savantes se sont prêtées au jeu de la désinformation. Mais ce n’est qu’un cran en avant.
Une désinformation ahurissante
La désinformation autour de l’acétamipride était ahurissante. « Ils » ont réussi à centrer leur discours sur un risque de cancer, allant jusqu’à inviter une personne ostensiblement sous chimiothérapie à l’Assemblée nationale. De nombreuses sociétés médicales ont d’ailleurs prêté main-forte aux pseudo-écologistes, comme la Ligue contre le cancer.
Cette dernière reconnaît pourtant que « son lien avec le cancer reste incertain ». Cela ne l’empêche pas de conclure son communiqué par : « Agissons pour lutter contre le cancer ! »
L’imposture a été dénoncée, notamment le 11 juillet 2025, par Aurélie Haroche dans le Journal International de Médecine, titrant : « Réautorisation de l’acétamipride : la fabrique de la peur n’a pas de plomb dans l’aile ». Elle relève les exagérations délirantes des activistes (ex. : « Vous avez du sang sur les mains ») et leur stratégie consistant à jouer sur la peur, alors même que l’ANSES ne relève pas « d’effet nocif pour la santé humaine ».
Jérôme Barrière, oncologue, et Jacques Robert, professeur de cancérologie, ont également dénoncé cette hystérie « sans aucune preuve épidémiologique robuste » dans une tribune publiée par Le Point le 31 juillet.
Comparaison avec les Monsanto Papers
Néanmoins, ce n’est qu’un cran en avant.
En effet, dans la polémique des Monsanto Papers, en 2017, un des éléments de langage consistait à présenter le glyphosate comme un « cancérigène certain ». Diabolique, alors que même le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC) ne le qualifiait que de « cancérigène probable », c’est-à-dire avec un effet tellement faible qu’il ne ressortait pas clairement des études.
Et, si on y réfléchit deux minutes, c’était déjà un saut phénoménal : même l’organisation qui, seule face au reste du monde, la FAO1, l’OMS2, des agences sanitaires, avait le discours le plus négatif sur le glyphosate, avait un discours infiniment moins tranché et négatif que ne l’étaient ses reprises par les militants et la presse.
La présentation actuelle de l’acétamipride n’est donc pas vraiment surprenante. On retrouve les mêmes techniques, les mêmes logiques que celle employée pour les Monsanto Papers.
Le problème de l’économie du politique
L’amnésie permanente
Et en même temps, pourquoi se priveraient-ils ? Il y a, dans le grand public et même chez beaucoup de leurs adversaires, une sorte d’amnésie : ils ont menti mille fois, cela a été documenté précisément, et pourtant on les laisse continuer de mentir tranquillement.
Par exemple, l’exagération que je viens de décrire, je l’ai détaillée dans mon livre sur les Monsanto Papers, qui a été en libre accès pendant environ un an et autour duquel j’ai communiqué comme j’ai pu.
L’instrumentalisation d’une victime du cancer qui s’est présentée à l’Assemblée correspond précisément à la stratégie mise en œuvre autour de Théo Grataloup, dont on a d’ailleurs la confirmation, s’il en fallait une, que la poursuite était infondée. On retrouve toujours les mêmes mécaniques, les mêmes acteurs, les mêmes logiques.
Pourquoi a-t-on l’impression, à chaque polémique, que tout est nouveau ? Qu’on redécouvre la capacité de la pseudo-écologie à mentir, à détourner… bref, à désinformer sans vergogne ?
Je vais prendre un autre exemple : j’ai décrit avec beaucoup de détails la fable du modèle agricole dominant. C’est un des éléments de langage les plus récurrents de la pseudo-écologie. Je n’ai jamais vu une référence au chapitre que j’y consacre.
Un rapport de force déséquilibré
Alors, pourquoi les pseudo-écologistes ne continueraient-ils pas de faire ce qu’ils font ?
Des blogueurs, comme Seppi, dénoncent depuis longtemps leurs mensonges. Côté institutions, Le Point est l’un des rares journaux nationaux (le seul avec L’Opinion ?) à lutter contre la désinformation. L’AFIS aussi. On voit émerger des collectifs, comme Les Voix du Nucléaire ou, plus récemment, Les Électrons Libres, qui est très prometteur.
Néanmoins, en face, vous avez une machine de guerre : des dizaines d’élus nationaux, des partis entiers, des mastodontes comme Greenpeace ou Pesticides Action Network, plusieurs journaux nationaux, comme Le Monde et Libération, qui entretiennent industriellement la désinformation, et d’autres qui les relaient volontiers, comme Ouest-France ou Le Parisien.
Faites une expérience simple : parlez d’agriculture ou de santé autour de vous, vous trouverez partout la désinformation. Et il y a de très bonnes raisons pour cela.
L’économie du mensonge
C’est que l’économie du mensonge favorise ces discours.
Vous avez des croyants qui veulent croire pour une raison ou une autre (intégrer un cercle social, répondre à un « need for closure », se déresponsabiliser…). Vous avez des entrepreneurs qui ont intérêt à « vendre » ces mensonges. Et enfin, vous avez les acteurs en périphérie, notamment la presse, qui vont pouvoir tirer des rétributions de ces inepties. Mais tout cela repose sur le besoin pathologique des croyants. Sans un « besoin pathologique » à exploiter, un « pain point » comme on dirait en marketing, les choses sont difficiles à vendre.
Cette économie a des aspects très intéressants, comme la spirale d’engagement : si le croyant croit quelque chose pour se protéger d’une vérité dérangeante, il va avoir besoin de continuer à croire pour éviter la douleur. Or, son illusion sera mise en danger par la réalité, il faudra donc continuer de l’entretenir. Plus il s’enferre dans son illusion, plus il doit faire d’efforts et se couper de la réalité pour la maintenir.
J’évoque ce thème dans mon livre sur l’économie du militantisme et mon article « La politique est-elle une économie des absurdités ? ». Dieguez et Delouvée évoquent, il me semble, ces aspects économiques dans leur livre sur le complotisme.
Les chefs d’entreprise préfèrent se concentrer sur ce qu’ils connaissent et fuient la politique comme la peste
L’absence de contre-pouvoir
Le problème est que toute cette économie repose sur un besoin pathologique. Que reste-t-il si on l’enlève ? Pourquoi les gens s’intéresseraient-ils sérieusement aux questions politiques sans avoir un besoin pathologique à résoudre à travers cela ? Dans notre société consumériste et hédoniste, il ne reste pas grand-chose…
Et c’est là que ça coince. Sortir de la logique qui fait le succès de la pseudo-écologie, c’est s’extraire de toute une vision de sa propre vie, de toute une vision du monde, où le mensonge est très acceptable et inoffensif, où il suffit de lire deux ou trois articles et de discuter entre amis pour faire son travail de citoyen, et où, au final, ce qui compte, c’est surtout d’être « heureux ».
Il y a donc un coût psychologique important. Et pour quoi faire ? Pour avoir le privilège de s’aliéner à peu près n’importe qui en cinq minutes ? De ne plus pouvoir donner son avis lors des discussions politiques ? Vous n’allez pas créer du lien social ou vous sentir mieux vis-à-vis du monde (c’est même plutôt le contraire), etc.
Il faut aussi se poser la question bassement matérialiste : qui paie ? Vous avez des fonds massifs qui irriguent la pseudo-écologie, comme les subventions publiques à une myriade d’associations, mais aussi les fonds provenant des parties intéressées, comme les « tort lawyers » que dénonce souvent David Zaruk3, ou même les fonds étrangers, comme pour Nord Stream4.
En face, vous n’avez personne qui défend l’intérêt public en politique. Ceux qui y auraient le plus intérêt, les chefs d’entreprise, préfèrent se concentrer sur ce qu’ils connaissent et fuient la politique comme la peste (ce qui résulte d’une stratégie intelligente des anticapitalistes, consistant à attaquer comme corruptrices toute source de financement privé, sauf, bien sûr, quand c’est la pseudo-écologie qui en bénéficie).
Ainsi, si la pseudo-écologie prospère, c’est avant tout grâce à la faiblesse du corps social, qui, éreinté par les discours anti-Occident et anti-France, laisse se développer sans trop réagir ces économies. Et la pseudo-écologie n’est qu’un des « mind viruses » qui en profitent.
Un message d’espoir ?
Cet article reprend ce que j’avais essentiellement dit dans un thread sur X écrit début août, mais après l’avoir fini, j’avais le sentiment d’avoir oublié quelque chose. C’est qu’en effet, je finissais sur cette impasse, un peu comme s’il n’y avait pas d’espoir ici.
Mais alors, pourquoi me donner tant de mal ? Pourquoi passer un temps infini, depuis cinq ans, à travailler sur le sujet et à éplucher la désinformation, alors que je pourrais avancer professionnellement (par exemple, me former à l’utilisation et à la personnalisation des LLMs, ce dont j’ai très envie) à la place ? Si je pensais qu’il n’y avait pas d’espoir, je ne m’embêterais pas.
Les faiblesses de la pseudo-écologie
C’est que j’ai la conviction profonde que la vérité finira par gagner.
D’abord, les illusions se nourrissent des personnes qui sont sous leur emprise. Elles leur donnent un groupe social, mais elles les coupent du reste. Elles les poussent aussi à faire des choix néfastes (ex. : les antivax). Cela signifie qu’elles sont sensibles à la concurrence : si tous ceux qui ne les croient pas réussissent mieux, n’est-ce pas la preuve que ce sont des mensonges ? C’est pour cela que la libre concurrence est un danger pour la plupart de ces systèmes.
Ensuite, elles demandent de plus en plus de ressources pour exister. Plus elles grossissent, plus elles deviennent allergiques à la réalité et plus elles doivent inventer de nouveaux moyens de détourner leurs ouailles. C’est, par exemple, le rôle de l’accusation de conflits d’intérêts pour décrédibiliser la recherche privée. Néanmoins, ces mécaniques ont leurs limites et finissent par s’essouffler.
Enfin, c’est la suite logique : plus la vulgarisation se développe, plus le mensonge a du mal à prospérer. C’est une des raisons, à mon sens, du déclin du christianisme avec les Lumières : plus on découvrait de choses, plus on réalisait que l’Église racontait n’importe quoi. De la même façon, plus il y a de contenus dénonçant les mensonges pseudo-écologistes, plus il est difficile de faire vivre le mensonge.
Si la pseudo-écologie est une maladie qui ronge le corps social, résultant de sa faiblesse morale, il ne tient qu’à nous d’incarner une vivacité nouvelle et de résister.
Les conditions du succès
Néanmoins, il faut que nous soyons structurés. Combien de debunks et autres contenus ont été perdus au fil du temps, dans les limbes de X ou de blogs oubliés ? Il faut être dans une logique de construction durable, parler les uns des autres, se commenter, se contredire, bâtir un référentiel commun, bref, construire un champ d’étude. C’est notamment ce qu’ont déjà commencé à faire Jean-Paul Oury, à plusieurs endroits dans sa trilogie sur Greta5, ainsi que Géraldine Woessner et Erwan Seznec dans Les Illusionnistes. Ainsi, la moindre contribution vient construire quelque chose de plus grand.
Il faut aussi que le public, assez vaste, qui nous lit, comprenne nos propos et y adhère, puis réalise sa capacité d’action. Cela peut être de faire une veille, qui permette de retrouver facilement des contenus ; d’approfondir l’histoire et les propos d’une personnalité spécifique ; de trouver et synthétiser un livre important qui résonne avec l’actualité… Moins on a de temps, plus on doit cibler un sujet spécifique, mais se poser un instant et réfléchir sincèrement à ses possibilités est déjà un grand pas en avant. C’est une pensée subversive dans une société qui nous réduit en permanence à l’impuissance.
Enfin, il faut comprendre que c’est la démocratie qui est en jeu. Le projet pseudo-écologiste n’est pas seulement la construction d’une illusion, c’est un projet totalitaire qui tend à redéfinir la vérité et l’Histoire. Pour réussir à le dénoncer, il faut avoir cette vision haute et comprendre l’ambition portée par ses promoteurs.
C’est donc un sacré chantier, mais il est faisable, et il n’y a pas vraiment de choix : il doit être fait.
- Food and Agriculture Organization of the United Nations, Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture[↩]
- Organisation mondiale de la Santé[↩]
- https://geneticliteracyproject.org/, David Zaruk, Point de vue : L’industrie de la panique chimique — pour le plus grand plaisir des avocats spécialisés en responsabilité civile, des chercheurs activistes inventent le mythe de « l’exposome »[↩]
- The Nord Stream Affair : A Coup de Grâce to Perpetuate Proxy War ? – Le vice-amiral Vijay Shankar (à la retraite) soutient que le sabotage du Nord Stream suggère une guerre par procuration des États-Unis contre la Russie.[↩]
- Greta a tué Einstein, Jean-Paul Oury, 2020.[↩]