Extrême droite ou simple bon sens ? Le glissement de la Fenêtre d’Overton et l’institutionnalisation de l’assistance

Notre société fait face à des difficultés majeures, dont certaines, révélées ou citées par des personnes engagées, sont souvent rejetées par des subterfuges tendancieux, comme le fait de qualifier leurs auteurs de « réacs », de « fascistes », ou en les diabolisant en prétendant qu’ils relèveraient des valeurs de l’extrême droite. La discussion qui s’ensuit est généralement stérile, ce qui profite aux difficultés qui s’aggravent.

Cette situation s’explique par un glissement idéologique progressif, qui modifie profondément l’équilibre politique et notre société. Il est étroitement lié à ce que j’appelle la « bureaucratisation de l’assistance » ou la « professionnalisation de la victimisation ». En gros, c’est le processus par lequel des structures et des professions se développent autour de l’aide aux personnes en difficulté, ce qui peut conduire à une dépendance chronique et à une prolifération artificielle des catégories éligibles pour justifier leur propre existence, voire à une déresponsabilisation croissante de certains actes délictueux.

Pour bien comprendre ce phénomène, il convient de prendre un peu de recul historique.

Au début des années 80, être sans emploi ou en difficultés était mal vu, un signe de déshonneur. De la même façon, consulter son médecin quand on était malade n’allait pas de soi, nombreux étaient ceux qui ne voulaient pas prendre le risque d’être en arrêt maladie et ainsi de mettre leurs collègues en difficulté. La courte discussion qui suit était fréquente :

– Tu n’as pas l’air bien, tu as été voir ton médecin ?

– Non, il va me mettre en arrêt

– Je comprends bien, surtout en ce moment vu tout ce qu’on a à faire

Ancien dirigeant d’associations socioculturelles, au fil des années, j’ai observé que l’élargissement des dispositifs d’aide et la normalisation de certaines formes de précarité ont pu transformer ce qui était autrefois une solidarité ponctuelle (et donc précieuse) en un système institutionnalisé (dégradant la valeur de ces aides). Puisque les personnes n’ayant besoin que d’un coup de main ponctuel sont aidées et sortent rapidement des dispositifs de lutte contre la précarité, certains ont ainsi eu intérêt à multiplier les catégories de « personnes à aider », de « problèmes à résoudre ». L’assistanat est devenu un domaine d’activité à part entière, plutôt qu’un moyen temporaire de soutenir ceux qui en ont vraiment besoin. Être en difficulté ou se présenter comme victime est de plus en plus valorisé socialement. Les délinquants voient même leur parcours expliqué, justifié, voire glorifié par ceux qui vivent de ce système.

Ce concept rejoint aussi ce que certains appellent la « dépendance institutionnelle », où les individus et les structures finissent par s’appuyer sur ces mécanismes pour exister et se développer.

En mettant l’accent sur les problèmes et en multipliant les catégorisations, quitte à noircir le tableau sur les questions sociales, économiques, environnementales, par exemple, ou à transformer des délinquants en victimes, on crée un environnement dans lequel plus personne n’a intérêt à souligner les progrès ou les améliorations, parce que la reconnaissance de ces avancées pourrait diminuer les ressources allouées ou remettre en question certaines structures, médias ou partis politiques. C’est un cercle vicieux, car il entretient le pessimisme et la dépendance, alors que, paradoxalement, le niveau de vie et les conditions globales s’améliorent. Le nombre d’individus dont l’existence dépend entièrement de ce système progresse d’année en année, ce qui impacte massivement notre économie et les charges des entreprises, ainsi que les salaires de tous.

Cette tendance peut aussi masquer les véritables enjeux et complexifier la recherche de solutions durables, parce qu’on finit par alimenter un système qui se nourrit de l’existence des problèmes plutôt que de leur résolution. C’est un défi important pour les politiques publiques et les acteurs sociaux qui doivent trouver un équilibre entre l’aide nécessaire et la responsabilisation des individus.

 

Impact sur le glissement progressif des repères politiques au fil des décennies

À travers une période de 1970 à 2025, observons comment les différentes idéologies ont évolué, entraînant une redéfinition des positions politiques et une perception déformée du paysage politique.

 

1970-1980 : Repères stables

Durant cette période, le paysage politique est caractérisé par des repères clairs et stables. L’extrême gauche est marginale et se positionne comme révolutionnaire, tandis que la gauche se définit par ses valeurs sociales-démocrates et redistributives. Le centre adopte une approche libérale et réformiste, alors que la droite se montre conservatrice. L’extrême droite, quant à elle, reste marginale et identitaire. Ce cadre politique est marqué par un équilibre global, avec peu de confusion entre les différents pôles. Les aides sociales sont rares, en avoir besoin est mal vu.

1990-2010 : Début du glissement

Au cours de cette période, nous assistons à un début de glissement idéologique. L’aide sociale se banalise et devient une norme acceptée par une partie croissante de la population. Elle devient rapidement massivement financée. L’extrême gauche commence à influencer la gauche, qui adopte des positions plus radicales. Le centre, quant à lui, commence à intégrer des postures sociales, brouillant ainsi les frontières traditionnelles. La droite, face à ces évolutions, oscille entre le silence et une radicalité naissante. Bien que les étiquettes politiques demeurent inchangées, les contenus et les significations qui leur sont associés évoluent.

2015-2025 : Nouveaux repères biaisés

Dans cette période récente, les repères politiques ont subi un biais significatif. Ce qui était autrefois perçu comme « centre » est désormais considéré comme « gauche », tandis que la « droite modérée » est souvent assimilée à l' »extrême droite ». Le débat public se polarise de plus en plus, rendant difficile la distinction entre les différentes idéologies. La fenêtre d’Overton1, qui définit les idées acceptables dans le discours public, s’est déplacée vers la gauche, créant un environnement où les positions modérées sont de plus en plus rejetées.

L’effet global de ce glissement idéologique est un dérèglement de la perception politique. L’extrême gauche a réussi à tirer l’ensemble de l’échiquier politique vers elle, tout en maintenant les étiquettes apparentes. Ce phénomène crée une illusion de radicalisation à droite, alors qu’il s’agit la plupart du temps que d’un simple maintien de repères anciens. Ainsi, le paysage politique contemporain est marqué par une confusion croissante, où les repères traditionnels sont remis en question et redéfinis.

Un constat simple, que chacun peut opérer autour de lui, rend la démonstration implacable. Il réside dans le fait qu’il n’existe aucune organisation de quelque nature que ce soit œuvrant dans le secteur social ayant déjà annoncé qu’elle cessait ses activités après avoir atteint ses objectifs. Au contraire, leurs budgets ne cessent de croitre, elles embauchent toutes de plus en plus, et les évaluations sont rarement conduites, voire jamais. Elles se nourrissent, au fond, de la misère et ont tout intérêt à ce qu’elle progresse, quitte à en inventer.

Illustration des effets de cette mécanique sur l’échiquier politique.

  1. La fenêtre d’Overton est le spectre des idées et opinions considérées comme acceptables ou légitimes dans le débat public à un moment donné. Elle évolue avec le temps, influencée par les événements, les médias et les dynamiques sociales, déterminant ce qui est politiquement ou socialement envisageable.[]

2 Responses

  1. Très pertinent Sébastien, bravo.

    Je pense qu’on peut également observer la formation d’une 2ème fenêtre d’Overton en glissement vers l’extrême droite. Avec le développement des incivilités et de la violence (résultant du laxisme que tu évoques), une frange de la droite historique et conservatrice s’est décalée vers l’extrême afin d’endiguer la fuite d’électeurs vers le RN. Bien pensance et laxisme (en particulier à la justice bien ancrée à gauche) engendrent toujours plus de violence, d’injustice et de paupérisation. Ceux qui la subissent tentent l’alternative politique. Résultat : essor de LFI / Front de gauche d’un côté, énorme progression du RN de l’autre… Cela ne présage rien de bon pour les prochaines présidentielles.

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