Comment l’intelligence artificielle va changer le fonctionnement de l’industrie touristique française

 

Yann Hascoët
Yann Hascoët est un expert dans les secteurs du tourisme et du développement économique. Avec plus de 20 ans d’expérience, il a occupé des postes clés, notamment en tant que directeur commercial et responsable d’agences, où il a piloté des stratégies de transformation et encadré des équipes pluridisciplinaires. Passionné par le numérique, son parcours, mêlant management, stratégie commerciale et expertise terrain, fait de lui un interlocuteur privilégié pour comprendre les enjeux et les mutations d’un secteur en constante évolution.

Alors que l’intelligence artificielle s’impose comme un levier incontournable de transformation dans de nombreux secteurs, son impact reste parfois mal compris ou sous-estimé. Dans cet interview, Yann Hascoët, expert du tourisme et du développement économique, partage son expérience et ses observations pour illustrer concrètement comment l’IA peut révolutionner la gestion des ressources, améliorer l’expérience client et relever des défis majeurs comme l’emploi ou le logement des saisonniers. Une plongée au cœur des opportunités et des enjeux qui façonnent déjà l’avenir de ce secteur d’activités.

L’intelligence artificielle transforme de nombreux secteurs. Selon vous, dans quelle mesure l’IA est-elle une évolution naturelle du numérique dans le tourisme ou représente-t-elle une véritable rupture avec les modèles traditionnels ?

« Je dirais qu’il s’agit clairement à la fois d’un prolongement mais aussi d’une avancée technologique majeure. L’IA ne se contente pas de numériser les processus existants – elle les réinvente complètement. Mais il est bon de rappeler que l’intelligence artificielle dans le secteur touristique n’est pas une nouveauté absolue. Dès les années 1970, les compagnies aériennes ont été pionnières en matière d’analyse de données automatisée avec la mise en place du Yield Management. Ce système, qui ajuste dynamiquement les prix des billets en fonction de la demande, des prévisions et du comportement des consommateurs, repose sur des algorithmes qui anticipaient déjà l’optimisation des revenus bien avant l’essor actuel de l’IA.

Le Yield Management a ensuite été adopté par l’hôtellerie, le transport ferroviaire et d’autres branches du tourisme, marquant ainsi une première étape dans l’utilisation de l’analyse algorithmique avancée pour la gestion et la rentabilité. Ce que nous voyons aujourd’hui, avec l’IA moderne, est une accélération et une sophistication de ces pratiques. Les modèles actuels ne se contentent plus d’appliquer des règles prédéfinies, ils apprennent en continu des comportements des clients, des tendances du marché et des évènements en temps réel pour affiner les recommandations et ajustements tarifaires.

L’IA amplifie ainsi le principe du Yield Management en le rendant plus agile et réactif, tout en s’étendant à d’autres aspects du voyage : la personnalisation de l’expérience client, l’optimisation des flux touristiques, ou encore la gestion prédictive des infrastructures. En ce sens, l’IA est bien un prolongement naturel du numérique dans le tourisme, avec des racines historiques profondes qui remontent à plus de 50 ans.

La vraie révolution réside dans la capacité de l’IA à traiter des quantités massives de données pour prendre des décisions complexes. À la différence des outils numériques traditionnels, logiciels ou les Global Distribution System (G.D.S), qui suivaient des règles prédéfinies, l’IA peut s’adapter et apprendre de chaque interaction. C’est particulièrement visible dans la tarification dynamique ou la gestion prédictive des flux touristiques. »

De la personnalisation des offres à l’automatisation du service client, l’IA promet d’améliorer l’expérience voyageur. Quels sont les cas d’usage les plus marquants que vous avez observés dans votre domaine ?

« Les exemples les plus impressionnants viennent des grands acteurs du secteur. AccorHotels, par exemple, utilise l’IA pour personnaliser l’expérience de séjour jusque dans les moindres détails – de la température de la chambre aux recommandations d’activités. Air France a déployé des chatbots qui ont révolutionné leur service client, avec une capacité de réponse 24/7 dans plusieurs langues.

Mais ce qui me frappe le plus, c’est l’émergence de solutions prédictives. Les systèmes d’IA analysent maintenant les tendances de réservation pour anticiper les pics de demande et ajuster les prix en conséquence. C’est une transformation radicale de la manière dont nous gérons la relation client, qui devient proactive plutôt que réactive. »

La France bénéficie d’un patrimoine exceptionnel et d’un savoir-faire touristique reconnu. En quoi l’IA peut-elle être un levier stratégique pour renforcer cette position face à la concurrence internationale ?

« L’IA est devenue un atout clé pour valoriser notre patrimoine touristique. Elle nous permet non seulement d’optimiser la gestion de nos sites, mais aussi de proposer des expériences culturelles enrichies. Par exemple, certains sites historiques utilisent maintenant l’IA pour proposer des visites personnalisées qui s’adaptent aux centres d’intérêt de chaque visiteur.

Plus stratégiquement, l’IA nous aide à maintenir notre position de leader mondial du tourisme en nous permettant de mieux comprendre et anticiper les attentes des différentes clientèles internationales. Nous pouvons ainsi adapter notre offre en temps réel et proposer des services toujours plus innovants. »

De plus en plus de destinations souffrent d’un tourisme de masse mal maîtrisé. L’IA peut-elle aider à mieux répartir les flux et à adapter l’offre touristique en fonction des capacités d’accueil ?

« Absolument. Dans le dossier ci-joint, je mentionne spécifiquement ce problème, en citant l’exemple d’Étretat en Normandie, où plus de 10 000 visiteurs peuvent affluer en une seule journée suite au succès de séries comme « Lupin ». L’IA peut jouer un rôle stratégique dans la gestion de ces flux touristiques de plusieurs manières. Elle permet d’analyser de vastes quantités de données pour prédire les tendances de la demande et optimiser l’allocation des ressources.

Par exemple, des systèmes d’IA peuvent être utilisés pour mettre en place des stratégies de tarification dynamique qui encouragent les visites hors des périodes de pointe. Mon article cite également des initiatives comme le plafonnement du nombre de visiteurs sur l’île de Bréa en Bretagne à 4 700 personnes par jour pendant la haute saison. L’IA peut aider à gérer ces quotas de manière intelligente et à répartir plus uniformément les flux touristiques entre les régions. »

Face aux crises sanitaires, climatiques ou sécuritaires, l’IA peut-elle être un outil stratégique pour adapter rapidement les offres, optimiser la logistique et sécuriser les touristes ?

« Oui, effectivement, je souligne dans mon dossier que  l’IA est devenue un outil suppémentaire pour la résilience du secteur touristique. Dans le contexte post-COVID notamment, l’industrie a dû mettre en place des mesures de sécurité rigoureuses, et l’IA aide à gérer et communiquer efficacement ces protocoles. Les systèmes d’IA permettent une analyse en temps réel des situations de crise et peuvent rapidement adapter les offres touristiques en conséquence.

L’IA contribue également à la sécurité des destinations touristiques en permettant une surveillance et un contrôle plus efficaces des risques potentiels. Elle peut également aider à optimiser la logistique en prévoyant les perturbations et en proposant des alternatives rapidement.

Grâce à l’IA, l’industrie touristique sera mieux préparée à faire face à une éventuelle nouvelle crise sanitaire, en s’appuyant sur des systèmes prédictifs capables d’anticiper les flux de voyageurs, d’adapter rapidement les protocoles de sécurité et d’optimiser la gestion des ressources pour limiter les impacts économiques et sanitaire.

On parle souvent de l’IA comme une menace pour l’emploi. À l’inverse, pensez-vous qu’elle puisse faciliter l’embauche et la formation dans un secteur en tension, en particulier pour les postes saisonniers ?

« Dans mon dossier, j’aborde cette question sous deux angles. D’une part, il reconnaît que l’automatisation de certaines tâches traditionnellement effectuées par des humains pourrait effectivement impacter certains emplois. Cependant, l’IA crée aussi de nouvelles opportunités. Elle transforme les rôles professionnels, créant une demande pour des compétences spécifiques dans les domaines des technologies de l’IA, de l’analyse de données et du marketing numérique.

Je souligne l’importance des programmes de recyclage pour préparer la main-d’œuvre à ces changements. L’IA peut effectivement faciliter le recrutement en automatisant certaines tâches de routine, permettant aux professionnels des RH de se concentrer sur des aspects plus stratégiques du recrutement et de la formation. »

L’hébergement des travailleurs saisonniers est un problème récurrent, avec des tensions sur l’immobilier dans de nombreuses régions touristiques. Voyez-vous des solutions basées sur l’IA pour anticiper et mieux gérer ces besoins ?

« Bien que je n’aborde pas ce point précis dans mon dossier, l’IA est utilisée pour l’analyse prédictive et la gestion des ressources dans le secteur touristique.

« Si l’on est capable de prévoir les flux touristiques, l’on peut prévoir les besoins en personnel saisonnier pour accueillir ces flux »

L’hébergement des travailleurs saisonniers est un défi récurrent, notamment dans les zones touristiques où la demande explose pendant la haute saison et où l’offre de logements est limitée. L’intelligence artificielle peut apporter des solutions innovantes, tant en termes de prévision que d’optimisation des ressources existantes.

D’abord, l’IA permet d’anticiper les besoins en logements en analysant les tendances historiques de fréquentation, les données météorologiques et les événements qui influencent les flux de travailleurs saisonniers. Ensuite, elle facilite la mise en relation entre les travailleurs et les hébergements disponibles via des plateformes intelligentes qui tiennent compte des préférences des saisonniers (proximité, budget, durée du contrat) et des disponibilités des propriétaires. Certaines solutions utilisent déjà l’IA pour optimiser les colocations et mieux répartir les hébergements entre les besoins des entreprises et ceux des particuliers.

Enfin, l’IA peut aider les collectivités à mieux gérer les tensions immobilières, en identifiant les zones où les besoins en hébergement saisonnier sont les plus critiques et en proposant des solutions adaptées, comme l’exploitation temporaire de logements vacants ou la transformation d’hôtels en résidences saisonnières pendant les périodes creuses.

En résumé, l’IA ne remplacera pas la nécessité de politiques publiques et d’initiatives locales sur ce sujet, mais elle peut être un levier puissant pour mieux anticiper, fluidifier et réguler le marché du logement saisonnier, au bénéfice des travailleurs comme des employeurs.

Enfin, quels sont, selon vous, les prochains grands bouleversements que l’IA pourrait apporter au tourisme d’ici cinq à dix ans ?

« Plusieurs transformations majeures sont à prévoir. L’IA va continuer à rationaliser la prestation de services en automatisant davantage les tâches de routine et en offrant des expériences toujours plus personnalisées. Le développement des chatbots, des objets connectés et des assistants virtuels va s’accélérer, offrant une assistance en temps réel aux voyageurs.

L’on prévoit également une évolution significative dans la façon dont les entreprises utilisent l’IA comme outil commercial d’optimisation stratégique, notamment pour analyser le comportement des consommateurs et créer des expériences plus durables. Enfin, on s’attend à une transformation importante des compétences requises dans le secteur, avec une demande croissante pour des professionnels experts en technologies de l’IA et en analyse de données.

« Le défi majeur est d’alimenter ces I.A en DATAS tout en restant éthique»

L’un des défis majeurs de l’IA les plus significatifs réside dans l’exploitation prédictive des datas. Aujourd’hui, nous avons des systèmes capables d’analyser les tendances de réservation, les préférences de voyage et même les comportements de navigation sur les sites touristiques pour proposer des offres ultra-ciblées et dynamiques. À l’avenir, si on les alimente encore plus en datas, ces modèles deviendront encore plus performants grâce à l’IA générative, qui pourra simuler différents scénarios et recommander aux acteurs du tourisme les meilleures stratégies à adopter.

Un autre axe clé sera l’optimisation des flux touristiques grâce aux données en temps réel. Avec des outils comme l’IA appliquée à la gestion des foules (via le croisement des données de téléphonie mobile, des réservations et des réseaux sociaux), les destinations pourront anticiper l’afflux des visiteurs et ajuster leur capacité d’accueil en fonction. C’est une opportunité considérable pour lutter contre le surtourisme, encourager une meilleure répartition des flux et préserver les écosystèmes fragiles.

Par ailleurs, les données permettront une meilleure gestion des ressources dans l’hôtellerie et les transports. Des modèles d’IA de plus en plus avancés permettront d’optimiser la consommation d’énergie des infrastructures touristiques (hôtels, aéroports, transports publics) en fonction des prévisions de fréquentation et des comportements des voyageurs. Ces innovations s’inscrivent pleinement dans une logique de durabilité et d’optimisation des coûts, un enjeu crucial pour l’avenir du secteur.

Enfin, cette transformation aura un impact direct sur les compétences requises dans le secteur. Avec cette explosion des données et leur exploitation par l’IA, la maîtrise de l’analyse des données deviendra un levier stratégique pour les professionnels du tourisme. Nous allons voir émerger des profils spécialisés, capables d’interpréter ces flux d’informations et de concevoir des stratégies marketing, tarifaires ou opérationnelles basées sur des modèles prédictifs.

En synthèse, la donnée est le carburant de l’IA et son exploitation intelligente redéfinira en profondeur l’industrie du tourisme. Loin d’être une simple tendance, cette révolution va permettre une personnalisation accrue des services, une gestion optimisée des ressources et une prise de décision plus agile et stratégique pour tous les acteurs du secteur.

Conclusion : L’IA au service de l’humain dans le tourisme de demain

L’intelligence artificielle révolutionne l’industrie touristique, mais elle met surtout en lumière l’irremplaçable valeur de l’humain. Si l’IA excelle dans l’optimisation et la personnalisation, elle ne pourra jamais reproduire l’émotion d’une rencontre authentique avec un territoire et ses habitants : Le sourire d’un hôtelier passionné, les conseils avisés d’un guide local ou le partage d’expérience avec un artisan créent ces moments uniques qui transforment un simple séjour en souvenir mémorable. L’IA n’est finalement qu’un formidable outil qui, en libérant les professionnels des tâches répétitives, leur permet de se concentrer sur l’essentiel : cultiver cette hospitalité qui fait la grandeur du tourisme. Et seuls ceux qui auront compris vers ce subtil dosage continueront à progresser vers un tourisme qualitatif.

À l’ère de l’intelligence artificielle, c’est paradoxalement le naturel de l’hospitalité ‘humaine qui devient la véritable valeur ajoutée du tourisme. »

📢Pour aller plus loin. Dossier PREMIUM à paraitre « L’avenir de l’IA pour l’industrie touristique française – Etude de cas » Le dossier complet explore les perspectives d’avenir du secteur touristique français face à l’IA, avec des insights concrets sur la transformation des métiers et les nouvelles opportunités à saisir. » Suivvez nous sur les réseaux ou abonnez-vous à notre lettre d’information pour être alerté à sa parution.

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