Le choix de cette photo d’illustration n’a pas été simple, jusqu’à ce déclic : un vieux moulin à vent, symbole d’une époque où l’homme savait composer avec l’intermittence de la nature. Pendant des siècles, on a moulu le blé quand le vent soufflait, sans illusions. Aujourd’hui, alors que les éoliennes modernes promettent une énergie constante, Jean-Pierre Riou nous rappelle une vérité oubliée : on ne peut s’affranchir du réel. Dans cet entretien, il dénonce les dérives d’une transition énergétique qui ignore ces limites et plaide pour un retour au pragmatisme.
Jean-Pierre Riou
Chroniqueur indépendant sur l’Énergie
Alors que les énergies renouvelables divisent et que l’Europe flirte avec des risques électriques majeurs, Jean-Pierre Riou, chroniqueur indépendant et président de l’association Le Mont Champot, décortique sans relâche les dérives des politiques énergétiques. Il alerte depuis plus de quinze ans sur les impacts des éoliennes – nuisances, inefficacité dans un mix déjà décarboné – et regrette l’abandon de projets nucléaires comme Superphénix. Dans cet entretien exclusif, il nous livre une analyse percutante des illusions du « tout renouvelable », plaide pour un retour au pragmatisme nucléaire et alerte sur un système au bord de l’effondrement. Ses écrits, étayés par des sources solides, n’esquivent pas la remise en question, faisant de lui une figure clé pour qui cherche à comprendre les défis d’une énergie pilotable et durable.
Face à une transition énergétique marquée par des choix contestables et des risques croissants pour la stabilité du réseau européen, Jean-Pierre Riou, connu sur X sous le pseudo@rioujeanpierre, incarne une voix à la fois technique et engagée.
Membre du bureau énergie du Collectif Science Technologies Actions, il a été entendu au Sénat et à l’Assemblée nationale pour ses analyses sans concession et son plaidoyer pour le nucléaire. OHERIC-Média l’a interrogé pour comprendre ce qui le pousse à scruter sans relâche les failles d’un modèle qu’il juge insoutenable, et ce qu’il propose pour éviter le chaos.
Vous êtes chroniqueur indépendant et président de « Le Mont Champot ». Qu’est-ce qui vous a poussé à vous investir autant dans l’analyse et la défense d’une vision rationnelle de l’énergie ?
Depuis un quart de siècle, les éoliennes ont envahi l’espace médiatique et leur gigantisme a bouleversé la nature de leurs sites d’implantation, transformant des paysages ruraux chers à l’inconscient collectif en zones industrielles sans emploi. D’un naturel sceptique quant à leur prétendue contrepartie d’énergie gratuite, sur fond des sommes colossales en jeu, je me suis penché, voilà plus de 15 ans, sur chacun des aspects de leur développement : aménagement du territoire, nuisances acoustiques, impact sur l’avifaune, démantèlement et même leurs effets sur la circulation des vents et le réchauffement local. Mais j’ai consacré encore plus de temps à disséquer les contreparties qu’on en attendait sur le système électrique français, déjà décarboné à plus de 90 % depuis 1990 et plus gros exportateur mondial quasiment chaque année, afin d’en dégager l’intérêt général par-delà les nuisances locales. Je me suis également interrogé sur le concept même de « renouvelable », véritable fourre-tout hétéroclite et trompeur qui laisse croire que les faiblesses de l’une sont compensées par les qualités de l’autre. Une interrogation que j’ai ultérieurement mise en forme dans « Science sans conscience ». J’ai alors voulu laisser une trace des sources officielles que je découvrais en les partageant dans la revue de presse du Barsczus, puis sur Twitter, que j’ai rejoint en 2012, avant de créer mon propre blog « Le Mont Champot » en 2013. Mon profil X (ex-Twitter) indiquait déjà simplement « Regard sur les sources de l’énergie », par distinction avec les « sources d’énergie », pour marquer mon attachement aux sources de ce que j’affirme, souvent d’ailleurs entre guillemets afin d’exclure toute interprétation fallacieuse. Car, pour moi,Bridging the gap between the desire to do something and actually doing it. la qualité de la source est primordiale. Elle doit faire autorité, avoir été vérifiée et pouvoir être vérifiable. Tant d’analyses ne cherchent que la visibilité médiatique sans permettre la vérification des chiffres avancés en préambule. Je n’en retiens aucune.
Cette rigueur sur les sources m’a rapidement valu les sollicitations de divers médias pour publier mes articles. Par la suite, j’ai été convié à une audition devant une commission sénatoriale sur l’aménagement du territoire, puis à une audition à l’Assemblée nationale sur l’impact économique, industriel et environnemental des énergies renouvelables (EnR). Cette dernière audition a été reprise dans le documentaire « Éoliennes : du rêve aux réalités », qui m’a également interviewé, à l’instar de personnalités comme JM Jancovici, A. Waechter ou H. Proglio, suivie d’une participation à la série « L’énergie autrement » aux côtés de sommités telles qu’Yves Bréchet, Hervé Machenaud ou Louis Gallois.
Vos publications sont reconnues pour leur précision et leur ancrage factuel. Pourquoi accordez-vous autant d’importance aux faits dans un domaine où les opinions semblent souvent dominantes ?
Comme dans toute controverse, les opinions sur l’énergie sont souvent tranchées, et les sommes en jeu, ainsi que la peur irrationnelle du nucléaire, confèrent une grande violence au débat sur les énergies renouvelables. Par ailleurs, la fameuse loi de Brandolini montre qu’il faut infiniment moins d’énergie pour répandre efficacement un mensonge que pour démontrer qu’il s’agit d’un mensonge. Mon caractère ne m’incite pas à sauter dans l’arène pour donner des coups ou en recevoir. De plus, je ne crois pas en une objectivité absolue d’analyse. Tout analyste me semble tenté de privilégier tout élément nouveau qui confirmera ses conclusions précédentes en s’imbriquant efficacement dans la démonstration qu’il cherche à faire. Je n’ai d’ailleurs jamais prétendu être objectif moi-même, mais simplement rigoureux sur les faits et leurs sources. Mes convictions ne sont pas figées, et je m’efforce de les faire coïncider avec l’évolution de la situation, qui est permanente et extrêmement rapide. Je cherche également à être honnête en ne minimisant pas la portée des arguments des contradicteurs, encore moins à les occulter lors d’échanges privés.
Je crois en la force des faits. Nombre d’entre eux sont contre-intuitifs, et je pense qu’il est utile de faire connaître certains d’entre eux, qui vont à l’encontre des idées reçues mais dont personne ne parle.
Il est vrai qu’au fond de moi s’est toujours ancré le sentiment, purement subjectif, que l’avenir ne réside pas dans la multiplication de machines gigantesques dont la puissance installée devra être d’autant plus importante que leur puissance effective tend vers zéro dans les périodes sans vent ni soleil, et que rien ne permet encore d’espérer se passer de la moindre puissance pilotable installée, en raison de la durée de ces événements météorologiques, qui peut atteindre 15 jours. L’Allemagne en a récemment fait la douloureuse expérience, provoquant du même coup la colère du ministre norvégien de l’énergie face aux répercussions de la flambée des prix sur son propre sol.
Comment vous informez-vous pour rester au plus près de la réalité énergétique, entre données techniques, rapports officiels et échanges avec d’autres experts ?
Au fil du temps, de nombreuses associations m’ont contacté pour échanger sur l’énergie, notamment Sauvons le Climat (SLC), Patrimoine nucléaire et climat (PNC), Science Technologies Actions (STA), l’Association française pour l’information scientifique (AFIS), les Voix du nucléaire ou le Cereme. Pour autant, j’ai toujours refusé leurs propositions d’intégrer un conseil d’administration afin de préserver la liberté de mes publications, sans jamais devoir m’aligner sur une quelconque chapelle. Ces échanges quotidiens avec chacun d’eux m’ont permis d’approfondir les analyses dont je m’étais imprégné, dans la mesure où j’avais souvent l’occasion d’échanger directement avec leurs auteurs. Ces interlocuteurs avaient occupé les plus hauts postes de responsabilité à EDF, dirigé des centrales thermiques ou nucléaires en France ou en Allemagne, ou collaboré au programme nucléaire français.
Par ailleurs, Google m’a permis de mettre en place des alertes sur les publications de la CRE, de l’Entsoe, du Citepa ou de l’Institut Max Planck, acronymes barbares dont les conclusions font autorité. Je consulte régulièrement d’excellents sites qui permettent de suivre l’évolution de la production d’énergie, comme Eco2Mix, ElectricityMaps, Enerdata, Eurostat et bien d’autres. Les échanges sur X ont fait le reste. Enfin, j’ai été surpris par la facilité à obtenir des précisions en écrivant personnellement à des experts, comme RTE, Coreso, NordPool ou les plus hautes sommités spécialisées dans les effets sanitaires des basses fréquences. C’est ainsi que j’ai eu l’heureuse surprise de voir l’Institut national de santé publique polonais, dont j’avais traduit les recommandations concernant l’impact des éoliennes, prendre en compte ma remarque pour corriger leur propre texte, ou encore d’échanger avec la direction du centre hospitalier de Fukushima. Cette démarche m’a conduit à intégrer le groupe de travail de l’Afnor chargé de rédiger la norme acoustique de mesurage du bruit des éoliennes, jusqu’à sa regrettable dissolution, ou à solliciter la Cada (Commission d’accès aux documents administratifs) pour obtenir le compte rendu d’une séance stratégique non rendu public.
Ces 15 ans de travail m’ont permis de saisir plus rapidement les enjeux de chaque nouvelle publication ou rapport.
Vous n’hésitez pas à réviser vos positions face à de nouvelles informations. Comment gérez-vous cet équilibre entre conviction et ouverture à la remise en question ?
L’évolution rapide du système électrique européen oblige tous les acteurs engagés à adapter leur discours à la situation. J’ai notamment dû revoir mes positions sur l’intérêt de la flexibilité de la consommation, la pertinence du transfert d’énergie par pompage (STEP) ou le modèle économique de l’électrolyse. J’ai également dû prendre acte de la descente aux enfers du nouveau nucléaire, conséquence de la perte de compétences liée à 20 ans d’absence de nouveaux projets, ou du délai sans cesse repoussé de la production de l’EPR de Flamanville 3, dont le dernier avis, le repoussant au 17 avril, est pour la première fois accompagné de la mention « sous réserve ».
Par-delà les différents impacts négatifs de l’implantation d’éoliennes, c’est désormais la viabilité du système électrique de demain qui me préoccupe le plus. Les alertes se multiplient, et le risque est désormais caractérisé, tant sur le plan de la stabilité du réseau, en raison du manque avéré d’inertie permis par les centrales conventionnelles, dont le fonctionnement est désormais réduit, que sur celui du manque de capacité pilotable, dénoncé par le gestionnaire du réseau européen, qui menace la sécurité d’alimentation des besoins à court terme. Ce gestionnaire (Entsoe) a clairement énoncé qu’il ne lui appartenait pas de définir ce qu’est un risque acceptable. On se demande alors quelle entité politique aurait pesé le pour et le contre pour juger que ce risque méritait d’être pris. Car, hors le système électrique, l’Europe n’a pas de plan B pour se doter d’une industrie décarbonée.
En tant que voix reconnue sur les questions énergétiques, ressentez-vous une responsabilité particulière dans l’impact de vos écrits sur le débat public ou les décisions politiques ?
À ma grande surprise, j’ai eu le plaisir d’être contacté par des personnalités de haut niveau qui me demandaient l’autorisation de reprendre mes articles dans leurs publications, ou encore de confirmer l’exactitude de leurs chiffres. Mes articles sont également référencés comme sources dans de nombreuses publications. Le domaine évolue rapidement, et le marché de l’électricité est devenu une jungle impénétrable sur fond de sables mouvants. Mes analyses décortiquent, point par point, des aspects précis, comme l’évolution des EnR, l’impact des flux de boucle sur le marché ou la stabilité dynamique du réseau. Ces articles sont, je le reconnais, hermétiques pour le grand public, qui n’est pas ma cible, mais les retours montrent qu’ils ont un impact certain auprès des spécialistes qui interviennent dans le débat public. Cette responsabilité m’amène à m’interroger en permanence sur la subjectivité inévitable de mon point de vue.
Face aux dérives actuelles – désinformation, choix politiques hasardeux –, que faudrait-il faire, selon vous, pour garantir une approche énergétique solide et éviter les pièges à l’avenir ?
Le domaine de l’énergie est vaste, et je ne saurais émettre un avis sur la pertinence des carburants de synthèse, de l’hydrogène ou du captage du CO2, qui semblent pourtant incontournables pour atteindre l’ambitieux objectif de neutralité carbone. Je considère toutefois qu’une électricité abondante et bon marché en est la pierre angulaire. C’est à ce titre que j’y consacre l’essentiel de mon attention, en me focalisant sur les enjeux en France, non seulement parce que je suis particulièrement touché par leur traitement erratique, mais aussi parce que la stabilité du réseau européen repose sur la France. Sa propre décarbonation a déjà été opérée avant l’heure grâce au plan Messmer et à la maîtrise visionnaire d’hommes tels que Marcel Boiteux. De plus, la France a la chance de n’être sous la pression d’aucune urgence à moyen terme, grâce à un parc de production surdimensionné, tandis que la consommation stagne sous l’effet conjugué de l’efficacité énergétique, du succès de la sobriété et de la désindustrialisation. La prolongation des réacteurs, dont 22 d’entre eux sont déjà revenus de leur grand carénage, lui permet d’envisager sereinement un avenir qui doit être celui de la fermeture du cycle nucléaire par la surgénération, pour laquelle nous disposons déjà de plus de mille ans de combustible – une technologie dont la France était leader mondial avant son abandon en 1997. Les défenseurs des énergies renouvelables sont eux aussi amenés à revoir leur argumentation en fonction de l’évolution de la situation et doivent généralement convenir désormais qu’on ne se passera pas de sitôt d’un parc pilotable suffisamment dimensionné pour assurer seul les besoins lors de périodes prolongées sans soleil ni vent. D’autres pays que la France considèrent à juste titre que les EnR permettent de limiter les effets néfastes des énergies fossiles pour produire de l’électricité en prenant le relais en fonction de la générosité de la météo. En France, cet argument ne tient pas en raison de l’absence d’émissions du nucléaire, ce qui pousse certains à évoquer une urgence à répondre à une consommation croissante.
Là encore, les faits leur donnent tort.
Le défi actuel réside dans l’électrification des usages, pour laquelle une électricité bon marché est un facteur indispensable, ne serait-ce qu’en tant que condition de la compétitivité de notre industrie. Or, le développement des énergies renouvelables amène à payer le kWh trois fois : une fois pour l’entretien de l’indispensable parc pilotable, une fois pour son doublon intermittent, et une troisième fois pour le développement du réseau et du stockage, indispensables à l’intégration des EnR.
Pour conclure, je me permets d’évoquer la mémoire de Marcel Boiteux, qui n’était pas uniquement le père de notre parc nucléaire, mais également un mathématicien et économiste réputé. Je tiens à souligner son caractère visionnaire lorsqu’il écrivait dans Futuribles : « En théorie économique, l’électricité cumule pratiquement toutes les exceptions aux heureux effets de l’économie de marché. D’où il suit qu’on peut militer avec conviction pour la régulation par le marché, et en exclure l’électricité. »
Il terminait son analyse, dans laquelle il en développait les raisons, par cette étonnante conclusion prémonitoire dont la pertinence s’impose chaque jour davantage : « Mais, après qu’à travers les siècles le pouvoir des plus riches l’ait peu à peu emporté sur celui des plus forts, ne peut-on penser qu’un jour viendra où le pouvoir de l’argent sera lui-même sublimé par une forme de pouvoir dont les motivations seront plus élaborées ? Une économie de marché convenablement encadrée assurera alors la prospérité d’un secteur concurrentiel enfin libéré des entraves à courte vue qui lui sont prodiguées aujourd’hui, tandis que, là où monopoles naturels et coûts de transaction prévalent, réapparaîtront des entreprises publiques chargées efficacement des missions que le système du marché permet mal de remplir. »
« Alors l’EDF d’avant aura été seulement en avance d’un temps… »
La France, hélas, s’est endormie sur l’héritage de Marcel Boiteux, qui lui avait conféré un avantage compétitif considérable que nous achevons de perdre aujourd’hui après 30 ans d’antinucléarisme. Avec le véritable sabotage de Superphénix, nous avons gâché une chance unique d’assurer la sécurité d’approvisionnement de notre production nucléaire pour des millénaires. Une période de turbulence attend désormais notre économie, lors de laquelle un véritable déluge d’énergies renouvelables compromettra à la fois l’équilibre du système électrique et le modèle économique de notre parc nucléaire. Je partage le sentiment du ministre norvégien de l’énergie, qui l’a qualifié de « système absolument merdique », en décidant de réduire ses interconnexions avec l’Europe au strict minimum nécessaire à sa propre sécurité d’approvisionnement.
Pour autant, je n’ai pas la prétention d’affirmer que l’avenir me donnera raison. Je m’efforce simplement d’étayer l’inévitable subjectivité de l’analyse dont je suis convaincu, par chaque nouvel élément qui tend à montrer que cette fuite en avant d’un système boursouflé et chimérique, impulsé par ceux dont c’est le fonds de commerce, nous précipite inéluctablement vers le chaos.
À voir : Éoliennes: du rêve aux réalités [le film] produit et réalisé par Documentaire et Vérité
Comme toujours avec JP RIOU, on n’est pas déçu.En espérant qu’il sera entendu, il est parfois difficile de faire valoir des évidences face à un système où les dirigeants suivent davantage les sondages que certains experts de haut niveau qu’ils on eux mêmes nommés.
Rien à ajouter
Merci pour cet article sur J.P. Riou avec qui nous correspondons régulièrement concernant particulièrement les éoliennes
Hervé Texier
Président de « Belle Normandie Environnement » (BNE)
2 Responses
Comme toujours avec JP RIOU, on n’est pas déçu.En espérant qu’il sera entendu, il est parfois difficile de faire valoir des évidences face à un système où les dirigeants suivent davantage les sondages que certains experts de haut niveau qu’ils on eux mêmes nommés.
Rien à ajouter
Merci pour cet article sur J.P. Riou avec qui nous correspondons régulièrement concernant particulièrement les éoliennes
Hervé Texier
Président de « Belle Normandie Environnement » (BNE)