Comprendre le climat : entre consensus scientifique et choix politiques

François-Marie Bréon

© R.Poulverel/CEA
François-Marie Bréon est chercheur au Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement, un des laboratoires de l’IPSL
(Institut Pierre-Simon-Laplace, site web).
Il a participé à l’écriture du chapitre « Forçages radiatifs naturels et d’origine anthropique » du 5e rapport du GIEC
et de son “Résumé pour les décideurs”. Il est par ailleurs professeur au Collège de France sur une chaire annuelle 2024-2025.

Ses contributions publiques, très appréciées par la communauté scientifique, permettent de replacer les faits et la connaissance à leurs places, un préalable indispensable à la réflexion et à la prise de décision. Depuis le grand-public jusqu’aux décideurs, politiques ou institutionnels, la qualité de l’information est un point cardinal pour avancer ensemble. Agir pour le climat s’inscrit entre consensus scientifique et choix politiques.

Comment les observations spatiales ont-elles transformé notre compréhension des processus climatiques et de leur évolution ?

Les observations spatiales permettent de suivre et de quantifier les processus climatiques. Si on compare à l’observation permise par les mesures au sol, on peut noter plusieurs avantages à l’observation spatiale

  1. L’imagerie. On peut voir l’ensemble d’une structure météorologique. Imaginez la difficulté à se représenter la structure circulaire d’un cyclone lorsque seules les observations sol étaient disponibles. Aujourd’hui, grâce à l’observation spatiale, la structure en rotation du cyclone est évidente
  2. La couverture. L’observation spatiale permet d’accéder à tous les endroits sur terre, quelle que soit la difficulté d’accès au sol. On a ainsi une couverture complète contrairement à ce qu’offrent les observations au sol
  3. L’homogénéité. Un instrument unique permet de faire des observations partout sur terre. Il n’y a donc plus de difficulté liée à l’homogénéisation des mesures entre les différents instruments

Quels sont les enjeux actuels liés à la mesure et à l’interprétation des effets des aérosols sur le climat ?

Les aérosols sont les petites particules en suspension dans l’atmosphère. Certains ont une origine naturelle (sable du désert, particules issues de l’océan, pollen, cendres volcaniques), d’autres une origine anthropique (souffre en lien avec l’utilisation des combustibles fossiles, carbone suie dans le cadre de combustion incomplète, particules issues des pratiques agricoles). Les aérosols refroidissent le climat, directement en augmentant la capacité de l’atmosphère à réfléchir une partie du rayonnement solaire, et indirectement en augmentant le pouvoir réfléchissant des nuages. Il y a encore de grosses incertitudes sur la quantification de ces effets, d’une part parce que les aérosols ont une distribution très hétérogène et d’autre part parce que les interactions aérosols-nuages sont encore incertaines.
De nombreux travaux sont en cours pour réduire cette incertitude et pour mieux comprendre l’effet des aérosols sur le climat, que certains voient comme une solution possible au réchauffement climatique en injectant des aérosols dans la haute atmosphère (géo-ingénièrie).

En quoi les conclusions du 5ᵉ rapport du GIEC, auxquelles vous avez contribué, restent-elles pertinentes pour guider les politiques climatiques aujourd’hui ?

Les conclusions du 5ᵉ rapport du GIEC publié en 2014 ne sont pas significativement différentes de celles du 6ᵉ rapport publié neuf ans plus tard. La responsabilité totale des activités anthropiques au réchauffement observé est établie. Le réchauffement va s’accentuer, avec un rythme qui dépendra de nos émissions de CO2 et autres gaz à effet de serre. Certains impacts sont irréversibles, comme la fonte des calottes polaires et la hausse du niveau marin. Pour d’autres impacts, il est encore possible de limiter les conséquences du changement climatique.
Pour ce qui est de guider les politiques climatiques, les choses sont claires : le réchauffement climatique est grossièrement proportionnel à la quantité totale de CO2-équivalent émis par les activités humaines. Pour stabiliser le climat, il est donc nécessaire de réduire au plus vite nos émissions de gaz à effet de serre, en visant la neutralité carbone.
Les rapports du GIEC quantifient les potentiels et les coûts des différentes mesures pour cet objectif. Ils ne disent pas ce qui doit être fait, ni à quel rythme.

Comment peut-on renforcer la lutte contre les pseudo-sciences et les idées reçues sur les questions climatiques ?

L’information sur les questions climatiques est largement disponible et accessible. Je note que la communauté des climatologues produit généralement un rapport (le GIEC) qui fait le point sur les connaissances et les incertitudes, sur son sujet d’étude. Quelle autre communauté fait cet effort ?
Malheureusement, nombreux confondent la science du climat des politiques qu’il serait nécessaire de mettre en œuvre si on décidait réellement que la stabilisation du climat est une priorité absolue. La plupart des climatologues-dénialistes s’opposent aux mesures prises pour limiter notre impact sur le climat, et font l’amalgame avec la science climatique. Il me parait important de mieux faire la distinction entre ce qui relève de la science, qui fait consensus, et ce qui relève de la décision politique.
Aujourd’hui, on peut parfaitement accepter la réalité du changement climatique anthropique et préférer ne pas prendre de mesure pour le limiter. C’est un choix égoïste dans le sens où il affectera durement la vie de certaines populations et de nos descendants, mais il ne s’oppose pas à la science.
On peut aussi choisir de jouer à fond la carte de la sobriété ou la carte du nucléaire. Ce sont là des choix de société qui relèvent de la décision politique et certainement pas de la science du climat.

Selon vous, quelles priorités scientifiques et technologiques devraient être mises en avant pour affiner encore notre compréhension des forçages anthropiques sur le bilan radiatif de la Terre ?

J’ai déjà parlé des aérosols qui, aujourd’hui, sont la principale source d’incertitude sur le forçage anthropique sur le climat. Mais l’incertitude sur l’évolution du climat porte surtout sur les rétroactions. Dans un climat qui change, comment va évoluer la capacité de la végétation à absorber une partie du Carbone émis par nos activités ? L’évolution des nuages va-t-il renforcer ou au contraire atténuer le réchauffement ? Les courants océaniques vont-ils brusquement basculer, conduisant à un climat radicalement différent en Europe ? Les calottes polaires vont-elles être déstabilisées, conduisant à des décharges massives d’iceberg dans les océans ? Ce sont là les questions principales qui se posent pour anticiper le changement climatique à la fin du siècle.

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