L’analgésie cognitive : quand la complaisance freine le progrès

Depuis plusieurs années, j’observe qu’une confusion s’est progressivement installée entre bienveillance et complaisance. Ce phénomène touche aussi bien le management que l’éducation. Si plusieurs raisons peuvent l’expliquer (j’y reviendrai dans un prochain article), ses effets sont à l’origine de nombreuses difficultés rencontrées au sein des entreprises, ainsi que dans diverses institutions et organisations. Les collaborateurs ou collègues directs sont de moins en moins confrontés à la réalité, ce qui freine les ajustements nécessaires et peut même contribuer à scléroser certains fonctionnements improductifs ou perturbateurs.

Dire les choses, poser les bons diagnostics, c’est une des clés du bonheur et c’est vertueux pour l’ensemble d’une équipe. Mais il semble que nous ayons progressivement glissé vers un fonctionnement qui accorde une attention excessive aux éléments perturbateurs ou véhéments. Un peu comme si, en somme, un restaurant se contentait de lire les avis des clients mécontents pour déterminer les axes d’amélioration à suivre.

Or, j’assiste à une multiplication de situations que l’on peut raisonnablement qualifier d’absurdes, et dont les effets sont délétères sur le bon fonctionnement d’une équipe, quelle que soit sa taille. Je parle ici du sacrifice fait, au nom de la bienveillance, de managers expérimentés et de grande qualité, qui sont ciblés par des individus perturbateurs dont l’engagement pour l’entreprise est loin d’être à la hauteur des attentes, ou dont le seuil de tolérance à la critique est très bas.

Une empathie qui frôle la câlinothérapie

Si l’empathie s’est progressivement installée dans le management, ce qui est justifié, on frôle parfois la « câlinothérapie ». La crainte de perdre son emploi peut ainsi conduire un nombre croissant de managers à réduire leurs exigences, avec les conséquences que chacun peut imaginer sur la conduite des missions. D’autant plus que, lorsqu’une attention excessive est portée aux plaintes, qui restent minoritaires, le reste de l’équipe s’interroge sur la pertinence de ses propres engagements.

Les liens de causalité

Au début de ma carrière, confronté à des situations dans lesquelles de dangereux délinquants se voyaient infliger des condamnations que l’on pouvait qualifier de légères au regard des actes commis, j’avais eu l’idée de travailler sur une thèse autour de la disparition des liens de causalité, c’est-à-dire le lien qui doit normalement exister entre un acte posé et sa conséquence. Si l’on met en garde un enfant du risque de brûlure auquel il s’expose s’il touche une braise, et qu’en la touchant, il ne ressent pas la douleur, il ne sera pas en mesure de se protéger et le message de l’adulte ne portera plus. Nos corps, dépourvus de carapace et de beaucoup de poils, sont vulnérables ; la douleur, efficace, est là pour nous permettre d’en prendre soin.

L’analgésie cognitive

L’analgésie congénitale, ou insensibilité congénitale à la douleur, est une pathologie dans laquelle une personne est incapable de ressentir la douleur physique depuis la naissance. Les individus atteints de cette affection peuvent percevoir le toucher, mais ne ressentent pas la douleur, ce qui les expose à des risques accrus de blessures, de brûlures et d’autres traumatismes corporels.

C’est, au fond, très proche de ce que j’appelle l’analgésie cognitive, que nous avons progressivement instaurée dans le monde du travail, et qui consiste à ne pas dire les choses telles qu’elles sont. Or, comme chacun a pu l’expérimenter, c’est bien dans l’effort et la contrainte que l’être humain progresse et tire ses plus grandes satisfactions. Les Jeux Olympiques en sont une preuve éloquente. Qu’il s’agisse des athlètes, des organisateurs, ou des acteurs de l’événement, tous ont fourni des efforts considérables pour atteindre le succès et le rayonnement international du savoir-faire français.

Éviter la clinopathie

Une absence de confrontation directe et honnête peut en effet mener à une stagnation, voire à une régression dans le développement personnel et collectif. La « clinopathie » dans le management souligne une vérité inquiétante : la peur paralysante de l’échec, qui peut effectivement inhiber le potentiel de croissance et de progrès.

La clinopathie, dans le contexte de cet article, est une métaphore pour décrire une situation où les individus ou les systèmes évitent les confrontations nécessaires et les vérités inconfortables, préférant rester dans un état de confort apparent mais délétère. Cela peut être comparé à un patient qui reste au lit pour éviter la douleur de la guérison active, ce qui à long terme peut aggraver sa condition ou retarder sa récupération. Dans le management ou l’éducation, cela se manifeste quand les responsables ou les adultes évitent de donner des retours honnêtes et constructifs, préférant une fausse bienveillance qui maintient le statu quo mais empêche tout progrès véritable.
La culture du progrès

La véritable bienveillance n’est pas de protéger les individus de la vérité, mais de les encourager à affronter et à surmonter les réalités difficiles, car c’est dans cette confrontation que réside la possibilité de véritablement progresser et de se réaliser.
En résumé, cette question, en apparence anodine mais ô combien importante à l’échelle sociétale, touche aux objectifs que nous nous fixons et à la manière dont nous les poursuivons. J’ose parler ici d’un modèle de société. À quoi donnons-nous la priorité ? À la complainte et à la victimisation, ou à la responsabilisation et à l’engagement collectif au service d’un projet commun ?
Nos entreprises, nos organisations, nos institutions sont des microcosmes qui en disent long sur notre civilisation.
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