Quand on est jeune ou sans grande expérience, on perçoit souvent le monde, et donc la politique, de manière simpliste, comme un simple câble électrique que l’on branche sur une prise. Cependant, la réalité est bien plus complexe. Prenez l’exemple du câble électrique d’un grille-pain. Pour la plupart des enfants, ce n’est qu’un câble. Rares sont ceux qui savent qu’il contient trois fils, chacun ayant une fonction spécifique. Seuls quelques adultes le savent et peu en comprennent les distinctions. Rares sont ceux qui savent ce que signifient des termes comme fréquence, résistance, impédance, intensité, tension, ou des concepts comme pertes en ligne, production, transport et stockage de l’électricité. Ne parlons même pas des câbles sous-marins, que personne ou presque n’a jamais vus, et qui sont d’une extraordinaire complexité.
Lorsque nous sortons des sentiers battus, que nous changeons de domaine d’activité ou que nous élargissons nos expériences de vie, nous découvrons d’autres réalités, d’autres cultures. Cela nous amène à relativiser ce que nous pensions savoir. Agir concrètement, par exemple en créant une entreprise, quelle qu’elle soit, nécessite de développer un produit ou un service vendable. Il faut ensuite trouver les premiers clients, et si ça fonctionne, recruter le premier salarié. Ces étapes ne sont que le début d’une longue et périlleuse aventure, elles enseignent énormément sur la vie. Elles nous confrontent à la réalité de l’effectuation, un concept qui décrit le processus par lequel les entrepreneurs créent et explorent de nouvelles possibilités en agissant dans un contexte incertain. C’est en faisant, en expérimentant et en ajustant que l’on découvre ce qui fonctionne vraiment.
La politique, qui travaille sur l’humain et implique d’innombrables composantes, est encore plus complexe, pourtant quasi aucun acteur politique n’a jamais expérimenté cela ni pris de tels risques pour sa propre vie. Or c’est cette expérience pratique qui apporte un réalisme essentiel à la compréhension des défis politiques. Tout ce qui nous entoure dépend d’innombrables dispositifs et approvisionnements. Lorsque certains affirment qu’il faudrait tout détruire pour reconstruire un monde anticapitaliste, nous sommes en droit de nous interroger sur leur compréhension de la réalité. Ces affirmations ne peuvent se faire qu’avec un mépris pour ceux qui font fonctionner ces systèmes. Et pourtant, jamais autant qu’aujourd’hui, nous n’avons constaté autant de médiocrité et d’incompétence à l’Assemblée nationale. Quelque chose ne tourne pas rond, et ça touche autant à l’inexpérience qu’au manque d’humilité, les deux étant liés.
L’humilité face à la complexité
Chaque expérience nous rappelle l’importance de l’humilité. Il y a quelques années, passionné de bonne cuisine, j’ai exploré la fabrication du pain au levain, j’ai même réussi à dompter un four à bois (selon le terme consacré). Après plusieurs mois de pratique, j’ai atteint un bon niveau, mais je reste un amateur. Avec l’aide d’un boulanger expérimenté, je pourrais écrire un livre sur le pain au levain, mais je ne serai jamais un expert. Si je décidais maintenant de construire un grille-pain sans recourir à des pièces étrangères, forcément issues d’un système capitaliste, c’est-à-dire en produisant moi-même les pièces, il me faudrait des trésors d’ingéniosité et de multiples collaborations. Dans le même ordre d’idée, en démontant des disques durs, j’ai été fasciné par l’ingénierie nécessaire à leur fabrication. Chacun comporte deux plateaux en verre ou en aluminium recouverts de couches ferromagnétiques, généralement composées d’un alliage d’oxyde de fer, de nickel et de cobalt, surmontées d’une couche protectrice. J’ai rangé les pièces sur le comptoir et j’en ai fait une photo. Ça me fascine toujours autant, et je trouve ça beau. Je me suis émerveillé pendant de longues minutes de l’ingénierie nécessaire à une telle fabrication.
Quand bien même un sujet semble simple, il cache souvent une complexité insoupçonnée. Le décalage entre les belles idées et la réalité est abyssal.
La politique, comme beaucoup d’autres domaines, est complexe. Elle nécessite une compréhension approfondie de nombreux aspects de la vie. Face à la montée du populisme et à l’inexpérience de nombreux élus, notamment à l’Assemblée nationale, il est crucial de valoriser la connaissance et l’expérience. Plus nous comprenons la complexité des systèmes qui nous entourent, plus nous nous appuyons sur les experts, mieux nous pouvons naviguer dans le monde politique et contribuer à des solutions durables et réalistes. C’est une des raisons d’être de OHERIC-Média, valoriser la parole des faiseurs, reconnus dans leur domaine d’expertise, et constituer peu à peu un socle de connaissances minimales pour ceux qui aspirent à mieux comprendre le monde, dans l’idée, peut-être, de contribuer à son fonctionnement.
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Sébastien Tertrais: Auteur/AutriceVoir toutes les publications Fondateur et rédacteur en chef à OHERIC-Média