L’Atelier du Tilleul, la savonnerie artisanale et paysanne de Laurie Poussier

L’importance de la parole des pros

Le salon de l’agriculture a fermé ses portes le 5 mars 2023, chacun est retourné à ses occupations, que la plupart n’avaient du reste pas quittées. Les faiseurs, ceux qui nous nourrissent, et qui chaque jour œuvrent à cultiver, élever, transformer ce que la nature nous offre avec générosité, vont continuer à s’investir sans ménager leurs efforts.

La part d’agriculteurs dans l’emploi, selon la définition du BIT1, est passée de 7,1% de la population active totale en 1982 à 1,5% en 20192. Moins d’agriculteurs, c’est aussi et avant tout moins de Français à être en contact avec un agriculteur, à connaitre ne serait-ce qu’un peu les réalités de ce noble métier, à en parler autour de lui, et ainsi à participer à tisser du lien entre tous. On sous-estime beaucoup l’importance de l’interconnaissance dans ce qui fait société. Sans connaissance, il est aisé de tomber dans les idées reçues et les préjugés, ce qui en retour fragilise la compréhension mutuelle et la prise de décision, le tout pouvant avoir de fâcheuses conséquences.

La filière betteravière est une triste illustration de ce glissement de notre pays, où le militantisme écologiste vient fragiliser le travail de ceux qui se savent se retrousser les manches. Au bout du compte, nous allons devoir importer le sucre d’autres pays où les normes n’ont rien à voir.

Les réseaux sociaux peuvent constituer à ce titre un levier des plus utiles pour qui veut contribuer à une meilleure connaissance de leur métier. C’est au hasard de mes visites sur Twitter que j’ai découvert Laurie Poussier, une agricultrice dynamique et communicante. Elle a fait de son compte Twitter une fenêtre ouverte sur son activité. Installée à la Chapelle-Janson, en Ille-et-Vilaine, elle et son compagnon possèdent une exploitation laitière. Laurie a créé sa savonnerie l’année dernière, l’Atelier du Tilleul. À l’occasion d’un déplacement près de Fougères, j’ai tenu à la rencontrer, ce qu’elle a généreusement accepté.

Un premier parcours dans le milieu de la nutrition animale

Fille d’agriculteurs mayennais, Laurie a suivi une formation ingénieur agricole à l’ESA d’Angers. Titulaire d’un Master en Sciences Animales qu’elle a passé aux Pays-Bas, et d’un troisième Master « European Animal Management ». Elle a ensuite évolué pendant une dizaine d’années dans le milieu de la nutrition animale. Elle accompagnait les élevages à choisir des solutions naturelles pour leur activité

J’ai occupé des fonctions marketing et commerciales pendant une dizaine d’années, cela m’aide beaucoup aujourd’hui. Au début de notre installation à la Chapelle Janson il y a 5 ans, je communiquais sur les réseaux surtout en tant que femme d’éleveur, sur le quotidien de nos débuts à la ferme. Nous avons une centaine de vaches laitières, avec quelques ha de cultures céréales. Je tiens à communiquer sur la réalité du métier, sur un angle positif. Je veux montrer les aspects positifs, sans pour autant nier certaines réalités difficiles telles que les cas de suicide, ou que certains ne gagnent pas leur vie. C’est compliqué la communication sur les réseaux sociaux, il faut faire attention à ce que l’on dit et la manière dont cela peut être interprété.

Laurie a envie de parler de son métier et de donner envie. Beaucoup d’agriculteurs partent en retraite, or ce sont eux qui nourrissent la France. Laurie poursuit :

Le métier a changé, on travaille toujours beaucoup mais on a également aujourd’hui plus de facilités notamment au travers de la mécanisation. Ce n’est plus comme au temps de nos grands-parents, voir même de mes parents. il y a 40 ans mes parents ont démarré en partant de rien, il n’y avait même pas de toilettes dans la maison! Aujourd’hui nous avons un meilleur confort de vie et de bien meilleures conditions de travail.

Es-tu comme, sur d’autres métiers, confrontée à des contraintes règlementaires fortes ?

L’administratif et les réglementations sont très contraignantes en France. Cas d’exemple en agricole: pour obtenir des subventions sur la construction d’un bâtiment, il nous est demandé trois devis par poste. Maçon, charpentier, électricien.. chacun, trois devis. Les artisans en ont marre de faire des devis pour rien, ils perdent leur temps, nous aussi, sans compter les délais d’attente, donc tout prend du temps, énormément de temps. Autre exemple en cosmétique: tu es fabricant de savon au Québec ou en Angleterre, tu peux changer de recette de savon sur demande. Nous en France, chaque formule est vérifiée par un toxicologue, que tu payes, avec une attente de un mois ou deux pour pouvoir la commercialiser. Tu ne peux plus changer ta formule une fois que c’est validé. Cette rigueur en France n’est pas du tout la même ailleurs. Elle a du sens, bien entendu, mais ça coûte beaucoup en termes de compétitivité.

La naissance de l’idée de créer une savonnerie

Laurie avait envie de trouver sa place dans la structure existante et de ne pas faire « que de la vache« . Elle a cherché à valoriser le lait. Il y avait la piste du fromage, mais elle ne voulait pas être dépendante des contraintes liées à la gestion de l’ultra-frais. Sa précédente expérience avec les produits à base de plantes l’avait conduit à s’intéresser à la phytothérapie et à l’aromathérapie pour les animaux.

Ça m’a amené vers la cosmétique. Il existait des produits au lait de brebis, au lait de chèvre, au lait d’ânesse, pourquoi pas du lait de vache ? J’ai commencé à creuser la question, j’ai vu que nous n’étions qu’une dizaine en France à être à la fois éleveur et savonnier. Le lait de vache est très utilisé en cosmétique, indirectement. On valorise la protéine de lait, le lactosérum, mais ce n’est pas marqué lait de vache. On pense aux yaourts, aux glaces, au fromage, pas forcément au savon. J’ai créé l’entreprise « L’Atelier du Tilleul » avec mon compagnon en 2021. J’arrive aujourd’hui à avoir un rythme régulier. Je devrais pouvoir passer un mi-temps sur la savonnerie, un autre sur la ferme.

Laurie a accueilli une jeune en stage de découverte d’entreprise, le regard sur ce qu’elle aimait comme produit l’a aidé à affiner sa gamme, comme son usage des réseaux sociaux.

C’est bien d’avoir en stage des personnes qui sont dans la cible client. Je devrais prendre des retraités en stage pour mieux connaitre leurs attentes !

De l’importance des valeurs

ST : On le voit dans nombre de tes publications, il y a des choses auxquelles tu crois et que tu portes. Tu peux nous en dire plus sur tes valeurs ?
Laurie : J’aime l’indépendance, j’ai de l’ambition, j’ai envie de transmettre les choses auxquelles je suis attachée. Mes valeurs sont importantes à mes yeux et je me rends compte aujourd’hui que les gens achètent mes produits justement pour les valeurs que je porte. Valeurs humaines, acheter français, acheter aux producteurs locaux, mettre en valeur l’agriculture française. Nous avons en France la chance d’avoir une agriculture très diversifiée. Je voulais mettre en avant notre spécificité. Le côté nature, les ingrédients naturels, le fait de travailler avec des herboristes (j’ai fait une formation d’herboristerie à côté de l’activité). Par exemple mes ingrédients ne sont pas tous bio. Je privilégie toujours des producteurs français, au delà du « bio » en cosmétique. Je préfère acheter de l’huile d’olive pressée à froid à un producteur français qu’à un producteur intensif bio qui viendrait d’un autre pays. C’est important de faire travailler quelqu’un en France, à qualité égale bien entendu.
ST : Comme sur d’autres sujets, on constate qu’un nombre croissant de professionnels et d’experts prennent leur place pour parler de leur métier, en quoi penses-tu que c’est important de le faire ?
Laurie : On raconte beaucoup de mensonges sur notre métier et qui nous sommes. On voit des reportages à charge, ou des choses qui ne reflètent pas la réalité de la France, avec, par exemple, des images qui proviennent d’élevages américains gigantesques. Il est donc important de parler de la – réalité. Mais la communication sur les réseaux sociaux est sensible, il faut faire attention à ce que chacun dit.
ST : On le constate en effet sur tous les sujets, les réseaux sociaux sont générateurs de buzz, des communications peuvent mettre mal à l’aise certaines personnes, qui en retour on des réactions agressives. Mais Laurie reçoit beaucoup de soutiens, son activité et ses communications plaisent beaucoup.

Un infime pourcentage de réactions sont négatives, la grande majorité des gens respectent mon travail, je reçois beaucoup de messages de soutiens en privé, avec des personnes qui réagissent en privé à quelques critiques que je peux recevoir : »Continuez ce que vous faites, ne lâchez rien ».

ST : Tu as posté samedi une photo d’un vêlage, avec une corde attachée à un sabot d’un veau, tu peux nous en dire plus ?
Laurie : Oui, samedi, nous avons eu un vêlage. On avait mis la corde pour que le veau ne glisse pas en arrière le temps d’aller chercher la vêleuse. C’était un vêlage difficile. J’assiste à des vêlages depuis que je suis toute petite. Comme je n’ai pas autant de force qu’un mec, je ne tire pas trop fort, donc je fatigue moins la vache, cela peut être utile.
ST : Et tu as le temps de sortir ton téléphone ?
Laurie : Oui, c’est mon défaut en ce moment, j’ai un le portable greffé à la main.
ST : Et comment ton compagnon voit-il les choses ?
Laurie : Il me confisque mon téléphone de temps en temps. Il n’est pas du tout sur les RS. Je fais attention à ce que je mets. La photo du veau que je tiens avec la corde est un peu trash pour quelqu’un qui n’est pas initié au monde animal. Les gens ne sont plus habitués à ce qu’est la vie normale, la vraie vie. Il faut expliquer, et avoir conscience que chaque photo peut être mal interprétée. Ces réactions m’incitent à encore plus communiquer, le décalage avec la réalité est trop important. J’ai été élevée dans une ferme, c’est naturel pour moi. Ma fille vit dans cet environnement, elle met ses bottes tous les jours, elle s’en fout si de la bouse tombe sur elle., il faut montrer le réel.
ST : Les réseaux sociaux rendent accessible à tous des images qu’en temps normal on ne voit pas.
Laurie : C’est dommage. Aujourd’hui, tu postes un lapin que tu dépèces pour le manger, ça choquerait. On a perdu le lien avec la nature.

France Agri Twittos, l’association des agris qui twittent !

Partager un peu des réalités de son métier, et contribuer, ainsi, à une meilleure connaissance, c’est aussi donner envie à des jeunes de se diriger vers ces métiers, et participer à de meilleures décisions. Twitter a été choisi par le monde agricole pour partager, au jour le jour, des tranches de vie de ce métier passion, qui, quoique difficile et exigeant, présente de nombreux attraits. De nombreux agriculteurs communiquent chaque jour sur leur métier. Laurie en fait partie

– Tu peux m’en dire plus sur l’association France Agri Twittos ?
– C’est une association dont le seul but est de communiquer positivement sur l’agriculture. Nous sommes plus de 500 adhérents, des agriculteurs, des salariés du para-agricole mais également des gens non issus du milieu agricole. Le compte France Agri Twittos de Twitter a plus de 25000 abonnés, sans compter les comptes de certains membres. – J’ai rencontré il y a quelques mois le groupe « Bouge ta boite« , un réseau national féminin où l’on parle de ce qu’est d’être femme et entrepreneuse. Les connais-tu ?
– Non, je ne les connais pas. J’ai fait partie d’un réseau féminin au début, « Entreprendre au féminin en Bretagne« . C’est bien de se retrouver à plusieurs femmes qui galèrent pour les mêmes choses, ce dont nous ne parlons pas dans les groupes de business classique où on ne parle que de ventes.
– Un grand merci à toi pour le temps que tu m’as offert !

Agenda et contact

Portes ouvertes le 18 juin 2023: Notre première porte ouverte de la Ferme et de la Savonnerie. Au programme, pleins d’activités pour les enfants (jeux gonflables, ballade de chevaux islandais sur la ferme…) et également un marché de producteurs & d’artisans locaux.

  • Pâques : Cherrueix (50)
  • 25 et 26 mars :  Billé (35)
  • 3 boutiques de créateurs : Fougères (Unik), Saint Brice en Coglès (L’escale créative) et Saint Aubin du Cormier (Pep’s).

L’Atelier du Tilleul, lieu dit Le Tilleul, à la Chapelle Janson (35), visites sur Rdv au 06.72.68.05.89
Mail : latelierdutilleul35@gmail.com
Instagram : @latelierdutilleul35
Facebook : @latelierdutilleul

 

NDLR : Voici les comptes (agri ou passionnés) que je suis et qui m’apportent mon lot de naturel et de concret. Faites de même et faites les connaitre autour de vous !

– Laurie Poussier : https://twitter.com/PoussierLaurie
– Antoine Thibault : https://twitter.com/AgriSkippy
– Bérangère Paquet : https://twitter.com/BerengerePaqFai
– Etienne : https://twitter.com/agrikol
– Paysan heureux : https://twitter.com/paysanheureux1
– Bruno : https://twitter.com/BruCardot
– Les Jolies Rousses : https://twitter.com/JoliesRousses
– David Forges : https://twitter.com/d_forge
– Thomas Drach : https://twitter.com/TomDrach
– Agri Bretagne : https://twitter.com/agribretagne
– Jean-Paul Pelras : https://twitter.com/JeanPelras
– SleguilFR : https://twitter.com/sleguilFR

  1. Bureau International du Travail : https://www.ilo.org/global/about-the-ilo/who-we-are/international-labour-office/lang–fr/index.htm[]
  2. Les agriculteurs : de moins en moins nombreux et de plus en plus d’hommes : https://www.insee.fr/fr/statistiques/4806717[]

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