L’origine de la sape du nucléaire en Allemagne

Mise à jour d’un article publié initialement le 10 octobre 2022

En matière d’énergie, s’il y a bien un dossier sensible, c’est celui du nucléaire. À bien des égards d’ailleurs, son traitement est le reflet d’une dérive indéniable de notre société, l’accaparement par des militants de sujets complexes au travers d’approches simplistes et souvent empruntes d’une idéologie délétère.

Il semble que cela aille de pair avec la complexification de notre monde. Il n’est plus possible pour un humain, et depuis longtemps déjà, de tout connaitre. La tentation à la simplification est de ce fait naturelle.

Un militantisme aux conséquences délétères

Ainsi sur des sujets comme le nucléaire sévissent sur les réseaux sociaux et dans les médias des militants ou acteurs politiques aussi ignorants que pétris de certitudes. Sans doute serions-nous bien inspirés de nous saisir de l’école pour rétablir à leur juste place la science et la connaissance, quels que soient les domaines où elles s’appliquent, tant c’est depuis le plus jeune âge qu’on éduque à l’esprit critique et à des savoirs fondamentaux.

Les conséquences de cet amateurisme sur nos vies sont catastrophiques, car nous devons au nucléaire, notamment en France, de disposer à tout moment d’une électricité peu onéreuse et disponible. Tout ou presque dépend de cette énergie, depuis la recharge de nos smartphones jusqu’au financement des congés payés et de la Sécurité sociale, puisque c’est bien l’activité économique, elle-même permise par l’énergie, qui abonde notre économie. Or, la casse du nucléaire qui sévit depuis près de 30 ans a considérablement freiné son développement, contribué à la fermeture de centrales qui ne demandaient qu’à continuer leur vie (celle de Fessenheim n’étant qu’un exemple), et permis accessoirement le financement de la Russie au travers des besoins en gaz rendus incontournables par le développement des EnR.

1987, le début de la grande peur du nucléaire en Allemagne

Hier sur Twitter j’ai découvert le thread, ou fil, de Andrew Hammel, @AndrewHammel1, écrivain, avocat et traducteur allemand, qui revient sur les débuts de la casse de l’image du nucléaire en Allemagne. Il a été partagé par @rioujeanpierre dont la connaissance des enjeux énergétique est solide et fiable. J’en ai fait une traduction française pour en faciliter le partage auprès du plus grand nombre. Car comprendre comment nous en sommes arrivés là, avec un tel niveau de mensonges autour du nucléaire, aux conséquences si lourdes pour notre autonomie énergétique, est essentiel pour la suite. Voici le fil en question, rassemblé en quelques paragraphes. C’est Andrew Hammel qui parle.

Gudrun Pausewang, la première influenceuse anti-nucléaire

« On m’a demandé à plusieurs reprises pourquoi les Allemands ont si peur de l’énergie nucléaire (bien que cette mentalité change à la vitesse de l’éclair). Il n’est pas exagéré de dire que cette gentille vieille dame a joué un rôle clé :

C’était le Dr G. Pausewang (dcd en 2020), institutrice puis auteur de livres pour enfants. Presque tous ont été écrits pour de jeunes lecteurs, et bcp d’entre eux contenaient des messages anti-guerre, anti-establishment et pro-environnement flagrants. Gudrun Pausewang – Wikipedia https://en.wikipedia.org/wiki/Gudrun_Pausewang

Attachée au principe de « traiter ses lecteurs avec respect » et de « mettre en lumière les dangers du monde moderne », Pausewang soumet allègrement ses héros et héroïnes jeunes adultes à des tortures inimaginables. Dans « Les derniers enfants de Schewenborn » 1983) qui dépeint une attaque nucléaire en Allemagne, il y a page après page des descriptions d’enfants brûlés et irradiés mourant lentement, (…) dans des mares de leurs propres vomissures et déjections .

The Last Children of Schewenborn – Wikipedia https://en.wikipedia.org/wiki/The_Last_Children_of_Schewenborn

Un bébé naît sans yeux. Vous obtenez l’image. Mais son classique, si vous voulez l’appeler ainsi, est « Die Wolke » (The Cloud) de 1987, traduit en anglais en 1997 sous le titre « Fall-Out ». Die Wolke – Wikipedia https://en.wikipedia.org/wiki/Die_Wolke

Le fait que les retombées ne se produisent qu’après des explosions nucléaires, et non des fuites de rayonnement, pourrait donner une idée de la culture scientifique de Pausewang (son doctorat était en littérature). Dans « Fall-Out », Pausewang crée une autre histoire tirée des gros titres d’hier, c’est-à-dire Tchernobyl. Effectivement, un Tchernobyl encore plus grand se produit sur le sol allemand.

L’héroïne, la jeune Janna-Berta, est contrainte de fuir le nuage empoisonné avec son frère, qui est aussitôt écrasé et tué dans la panique. La police allemande tire sur la population en fuite. Janna-Berta tombe gravement malade d’un empoisonnement aux radiations, perd ses cheveux et regarde d’autres enfants mourir lentement et agoniser dans un hôpital provisoire. Elle apprend plus tard que ses parents et son jeune frère sont tous morts. Tabac fort ! (Expression Allemande)

Pourtant, vous vous demandez peut-être comment quelques livres peuvent instiller la peur dans une génération entière ? Simple : ces livres (ainsi que d’autres textes alarmistes de Pausewang) -en particulier « Fall-Out »-, sont devenus d’énormes best-sellers. Vous pouvez vous faire une idée de l’influence de ces livres par le fait que les deux ont des entrées Wikipédia en anglais. *Beaucoup* plus important encore, ces brochures alarmistes sont devenues une lecture obligatoire dans les salles de classe de toute l’Allemagne.

Les enseignants allemands sont, comme les enseignants du monde entier, largement à gauche du spectre politique, et ils étaient au cœur du mouvement anti-nucléaire allemand. Ils ont littéralement forcé des millions d’écoliers allemands à lire tout ou partie de « Fall-Out » et à préparer des rapports et des essais dessus.

Bien sûr, certaines voix isolées se sont demandées si les enfants devraient lire intentionnellement de la pornographie catastrophe « conçue » pour leur donner des cauchemars à vie (et les transformer en électeurs verts à vie). Mais l’establishment littéraire européen a adoré ces livres et a comblé Pausewang d’au moins 15 prix, selon sa page Wikipédia en allemand. En 2006, « Fall-Out » a été tourné en allemand.

Si vous souhaitez profiter de scènes de réfugiés désespérés et d’enfants chauves sur leur lit de mort, vous pouvez regarder le tout ici :

Après Fukushima, Gudrun est retournée dans le creux une fois de plus avec « Noch lange danach » de 2012.

Elle y brosse l’après accident nucléaire : de vastes étendues de l’Allemagne sont inhabitables, des millions de personnes ont émigré, le chômage est endémique, des quartiers des villes allemandes sont dangereux à cause des pillages et des maladies qui se propagent parmi systèmes immunitaires affaiblis. Ceux qui sont restés souffrent de dépression et de peur diffuse. On peut observer que certaines de ces choses commencent à se produire en Allemagne en ce moment, mais certainement pas pour les raisons que Pausewang imaginait.

Pausewang n’est pas la seule coupable ici, et elle n’est que le symptôme d’une maladie qui a ses racines beaucoup plus profondes dans la société allemande (I plus tard). Mais si vous deviez nommer une personne qui, plus que toute autre, a semé des craintes exagérées face à l’énergie nucléaire dans le monde germanophone, ce serait Gudrun Pausewang. « 

Thread d’origine via The Thread Reader.

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